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ANALYSES.berthelot. Les origines de l’alchimie.

offrent, les uns par rapport aux autres, des relations analogues à celles qui existent entre les valeurs multiples d’une même fonction, définie par l’analyse mathématique. Dès lors, un corps dit simple pourrait être détruit, comme le disaient les Grecs, alors qu’il ne peut être décomposé, dans le sens ordinaire du mot. Au moment de sa destruction, le corps simple se transformerait subitement en un ou plusieurs autres corps simples, identiques ou analogues à nos éléments actuels. Et les poids atomiques des nouveaux éléments pourraient n’offrir aucune relation commensurable avec le poids atomique du corps qui les aurait produits par sa métamorphose. Seul, le poids absolu demeurerait invariable, dans la suite des transmutations.

Telle est, selon M. Berthelot, la valeur et la portée des idées alchimiques. Dans leurs principes les plus généraux et sous leur forme abstraite, elles peuvent être maintenues aujourd’hui même : elles sont encore satisfaisantes pour l’esprit, et elles ne sont pas en désaccord avec les faits, pourvu qu’on les applique, non aux corps composés que nous avons sous les yeux et aux forces dérivées que nous connaissons, mais aux corps qui se manifestent comme simples, et aux forces élémentaires qui nous échappent.

Il appartenait à un savant, érudit et philosophe, de découvrir et mettre en lumière ces parties ignorées de l’obscure et confuse chimie du moyen âge. Curieux des vieux textes et capable de les déchiffrer par lui-même, M. Berthelot a connu beaucoup plus complètement qu’on n’avait fait jusqu’à lui les documents relatifs à l’alchimie. Savant, il était en mesure, non seulement d’en comprendre la lettre, mais de les interpréter, de reconnaître, sous les noms mythologiques et les symboles, les corps auxquels les alchimistes avaient eu affaire, les opérations auxquelles ils s’étaient livrés, les résultats positifs qu’ils avaient obtenus. Philosophe, il n’a pas condamné l’alchimie sur ses apparences ; il s’est demandé si, en elle comme en la plupart des antiques créations de l’esprit humain, les rêveries de l’imagination ne recouvraient pas une raison naissante ; il a trouvé qu’effectivement les principaux d’entre les alchimistes avaient appelé à leur aide les maîtres de la philosophie grecque, pour donner à leurs doctrines un fondement rationnel et naturel ; il s’est intéressé à l’effort de ces ignorants intelligents pour se représenter la constitution des corps d’une manière à la fois conforme aux apparences sensibles et satisfaisante pour l’esprit humain ; et il a trouvé que ces vieilles théories comportaient un bon sens, selon lequel elles étaient admissibles aujourd’hui encore.

L’ouvrage de M. Berthelot est un exemple de ce que peut, notamment dans l’étude des choses anciennes, l’alliance de qualités et d’aptitudes diverses, trop souvent séparées chez les hommes d’aujourd’hui. Les œuvres des anciens étaient plus complexes que les nôtres : l’esprit humain n’avait pas encore sacrifié son unité à la diversité apparente de ses objets. Il y a donc péril à ne considérer ces œuvres que de l’un seulement de nos points de vue modernes, soit le point de vue de l’érudit,