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sement sur l’observation. Des métaux et de leurs oxydes, en effet, ce sont ceux-ci qui sont donnés et stables, ceux-là qu’il faut fabriquer et qui sont instables. La première interprétation des phénomènes devait donc être de considérer les oxydes comme élémentaires et simples, les métaux comme composés et produits. Ne voyons-nous pas, aujourd’hui encore, une école psychologique tenir les sensations pour simples et les idées pour composées, par cette raison que les sensations sont données, tandis que les idées se forment des sensations ?

De même, l’idée d’une rotation indéfinie dans les transformations est parfaitement conforme à l’expérience. C’est un fait que, soumis à l’action du feu ou des réactifs qui les ont fait apparaître, les métaux s’évanouissent, pour donner naissance à de nouvelles substances, pareilles à celles d’où ils étaient sortis.

Cependant, ces deux parties de la doctrine alchimique ont été ruinées par les découvertes de Lavoisier. Par la considération du poids, Lavoisier a été amené à concevoir le simple et le composé à l’inverse des alchimistes. Plus léger que l’oxyde de fer dont on le formait, le fer était plus simple. L’idée de la rotation a disparu également, nos corps simples constituant des limites que la nature, à notre Connaissance, ne franchit pas. La doctrine classique des qualités réelles, déjà condamnée spéculativement par Descartes, à ainsi succombé devant l’expérience elle-même, pour faire place à la doctrine des corps simples, caractérisés par leurs équivalents ou par leurs poids atomiques. Quand un changement chimique se produit dans les corps, ce n’est pas une qualité qui se substitue à une autre, c’est un composé dont les éléments se séparent, ou des éléments qui se combinent pour former un composé.

Est-ce à dire que, de la philosophie alchimique, aujourd’hui il ne reste rien ?

Non seulement il en subsiste l’idée générale d’une explication rationaliste de la formation des corps, ainsi que l’idée d’une fabrication possible de corps semblables à ceux que nous offre la nature ; mais le principe suprême et platonicien de toute la philosophie alchimique, la matière une et capable de formes qui se substituent les unes aux autres, n’est nullement entamé par les conquêtes de la chimie moderne. Bien plus, selon M. Berthelot, pour qui veut comprendre les choses en philosophe, au lieu de se borner à énoncer les résultats bruts de l’observation et de l’expérience, pour qui ne se contente pas de notions mal définies et mal conciliées, la théorie alchimique demeure une conception très plausible de la constitution de la matière. Et il montre comment, en partant des différentes théories qui ont cours aujourd’hui, et en poussant plus loin la réflexion, on est amené à la conception d’une matière première commune identique, non isolable, susceptible d’un certain nombre d’états d’équilibre en dehors desquels elle ne saurait se manifester. Rien n’empêche d’admettre que ces états d’équilibre, au lieu d’être comme des édifices composés par addition d’éléments,