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ANALYSES.berthelot. Les origines de l’alchimie.

L’examen de nos manuscrits montre, dans les théories alchimiques, une accommodation matérialiste de cette théorie métaphysique de Platon. Le principe amorphe et réceptif de Platon, nourrice invisible du devenir, devient le mercure des philosophes : « De même, dit Synésius (mort en 415), commentateur démocritain, que l’artisan qui façonne le bois pour en faire un siège ou un char ne fait que modifier la matière sans lui donner autre chose que la forme ; de même le mercure, travaillé par nous, prend toutes sortes de formes. » « Il faut, dit Stéphanus, autre commentateur démocritain (flor. 620), dépouiller la matière de ses qualités, en tirer l’âme et la séparer du corps, pour arriver à la perfection. La nature de la matière est à la fois simple et composée ; elle reçoit mille noms, et son essence est une. Les éléments deviennent et se transmutent, parce que les qualités sont : contraires, et non les substances. » Geber, le maître des alchimistes arabes au viiie siècle, professe qu’on ne saurait opérer la transmutation des métaux, à moins de les réduire à leur matière première. Nul doute que ces idées ne viennent de la philosophie grecque. Nous retrouvons ici, sous une forme matérialiste, cette doctrine classique de la substitution des formes substantielles au sein de la matière, que l’Église chrétienne, vers la même époque, adaptait à l’explication du mystère de l’eucharistie.

L’alchimie a donc été une philosophie, non sans doute primitivement et par elle-même, mais grâce aux doctrines grecques qu’elle s’est assimilées. Il en a été de l’alchimie comme de toutes les doctrines du moyen âge fondées sur l’autorité et la tradition. Sous l’influence persistante de la culture hellénique, un besoin de comprendre et d’allier la raison à la foi s’est développé dans les intelligences : et c’est, naturellement, à la philosophie grecque que l’on a demandé les moyens d’élaborer les dogmes dans un sens rationaliste. L’alchimie, elle aussi, à cherché et trouvé chez les philosophes grecs la justification rationnelle de ses pratiques et de ses espérances. Elle s’est emparée de quelques doctrines ioniennes et platoniciennes où elle voyait une analogie avec ses propres maximes, et elle les a adaptées à ses croyances traditionnelles. De là est résulté un système d’idées sur la constitution des corps en général, qu’on peut à bon droit qualifier de philosophie. Selon cette théorie, la matière est une, en même temps que corporelle : les qualités s’y appliquent comme des réalités distinctes, et la différencient. La transmutation est possible, en tant que l’on peut dépouiller plus ou moins complètement une substance donnée des qualités qui la caractérisent, mettre à nu la matière première, et revêtir cette matière de qualités nouvelles. Les substances peuvent ainsi se changer les unes dans les autres suivant un processus circulaire, qui revient au point de départ.

Cette philosophie, dit M. Berthelot, en soi et pour le temps où elle a a été professée, n’était nullement absurde.

Dans sa conception du simple et du composé, elle reposait rigoureu-