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Cette restitution du côté philosophique de l’alchimie est le point capital de l’œuvre de M. Berthelot ; et la valeur réelle et absolue qu’il attribue à l’alchimie ainsi envisagée double l’intérêt de sa découverte.

Les rapprochements qu’il établit entre les textes alchimiques et les monuments de la philosophie grecque ne laissent aucun doute sur l’existence d’un élément philosophique au sein de l’alchimie.

Les principaux auteurs alchimistes : Synésius, Olympiodore, Stéphanus, sont des philosophes proprement dits de l’école néo-platonicienne. Olympiodore et Stéphanus citent les pythagoriciens, les ioniens et les éléates, dont ils connaissent fort bien les doctrines.

Michel Psellus (xie siècle) se réclame de Platon et de Démocrite, et manifeste un goût de la spéculation désintéressée, et un sens du rationalisme, tout à fait dignes d’un philosophe grec : « Les changements de nature peuvent se faire naturellement, et non en vertu d’une incantation ou d’un miracle, ou d’une formule secrète. Il y a un art de la transformation… Tu veux connaître le secret de la fabrication de l’or, non pour avoir de grands trésors, mais pour pénétrer dans les secrets de la nature ; pareil en cela aux anciens philosophes, dont le prince est Platon. »

Parménide enseignait que tout est un. De même les alchimistes disent : « Un est le tout ; par lui le tout est. » Héraclite enseignait que tout se change en feu et le feu en tout, comme l’or s’échange contre des marchandises, et réciproquement. Quoi de plus propre à encourager les alchimistes dans leurs espérances, que cette doctrine de la transmutation universelle ! Les quatre éléments d’’Empédocle se retrouvent chez les alchimistes. Mais le rapprochement le plus significatif est celui que fait M. Berthelot entre la doctrine alchimique du mercure des philosophes et la théorie de la matière dans le Timée de Platon.

Platon admet l’existence d’une matière première, fondement commun et amorphe de toutes les substances particulières, De cette matière procèdent tout d’abord les triangles élémentaires, savoir les triangles rectangles isocèle et scalène ; puis, de la combinaison de ces triangles résultent les quatre solides primordiaux, savoir le feu, l’air et l’eau, formés avec l’élément scalène, et la terre, formée avec l’élément isocèle. De cette constitution des solides primordiaux il résulte que les trois premiers peuvent se transformer l’un dans l’autre : seule, la terre reste à part, parce que jamais des triangles rectangles isocèles, unis comme l’on voudra, ne formeront des triangles équilatéraux. Ainsi est fondée, scientifiquement, la possibilité de la transmutation. Platon étend même cette possibilité à la terre, là où il parle avec moins de rigueur. L’eau, dit-il alors, en se condensant, devient terre, et, en se divisant, devient air ; l’air, enflammé, devient feu, et, resserré, devient eau. Les corps semblent s’engendrer les uns les autres par un processus circulaire. Et, nul d’entre eux ne se montrant jamais sous la même figure, on ne saurait distinguer radicalement l’un quelconque d’avec les autres, comme étant rigoureusement tel et non tel autre.