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ANALYSES.berthelot. Les origines de l’alchimie.

tes offrent également beaucoup de points de contact avec nos documents. L’œuf philosophique, par exemple, symbole à la fois égyptien et chaldéen, devient, pour les alchimistes, le signe de l’œuvre sacré et de la création de l’univers.

Les influences gnostiques sont particulièrement importantes. Les premiers alchimistes étaient gnostiques. Les écrits alchimistes sont tout remplis de noms, de symboles et d’idées empruntées au gnosticisme. Mentionnons en particulier le serpent Ouroboros, qui se mord la queue, avec l’axiome central : ἓν τὸ πᾶν[1]. Ce serpent était le symbole de l’œuvre, qui n’a ni commencement ni fin. Or il était adoré à Hiérapolis, en Phrygie, par les Naasséniens, secte gnostique. Il y avait une affinité secrète entre la gnose, qui cherchait à lever le voile des allégories pour connaître en esprit et en vérité les mystères du royaume de Dieu, et l’alchimie, qui poursuivait la connaissance des forces cachées de la nature. Cette influence du mysticisme oriental n’est pas seulement empreinte sur la forme extérieure et le langage de l’alchimie : elle en a déterminé en grande partie l’esprit même, à savoir : le caractère théurgique, l’assimilation des forces naturelles à des volontés qu’on enchaîne, la foi inébranlable dans le succès final ; le vague d’espérances illimitées qui s’étendaient non seulement à la production des métaux précieux, mais à la guérison de toutes les maladies et même à la prolongation indéfinie de la vie humaine, en un mot la croyance secrète à la possibilité de surprendre la puissance créatrice de Dieu lui-même.

Ainsi l’alchimie, dérivée de l’industrie égyptienne et du mysticisme oriental, est bien un mélange de pratiques expérimentales et de superstitions. Mais on a eu le tort jusqu’ici de n’y voir que ces deux éléments.

Selon M. Berthelot, elle en renferme un troisième de la plus grande importance, savoir un élément philosophique. L’alchimie a été une philosophie, c’est-à-dire une explication rationnelle et naturaliste de la formation des corps ; et c’est l’originalité singulière de cette science bâtarde, de réunir et fondre ensemble des éléments aussi hostiles les uns aux autres que l’empirisme industriel, le mysticisme et le rationalisme.

Déjà la formule favorite et comme la devise des alchimistes : « la nature triomphe de la nature », aboutit à une sorte de naturalisme pratique, puisque les forces surnaturelles, s’il en existe, apparaissent dans ce principe comme enchaînées à des phénomènes naturels. Mais ce ne sont pas seulement des tendances inconscientes, c’est tout un corps de doctrines théoriques que l’on rencontre chez les alchimistes ; et le caractère philosophique de ces doctrines est d’autant moins douteux qu’on en trouve avec certitude le point de départ chez les philosophes grecs, et en particulier chez Platon.

  1. L’ouvrage de M. Berthelot est enrichi de planches où les symboles et signes hermétiques et alchimiques sont reproduits avec une grande perfection.