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PAULHAN. — le langage intérieur

conque à l’occasion d’un terme abstrait constitue l’acte de comprendre ce terme. Je crois que cela peut, dans certains cas et pour certaines personnes, faciliter la compréhension, mais je suis sûr que cela ne la constitue pas. Il est évident que, ici, l’image évoquée est un simple substitut de l’idée, comme le mot lui-même est un substitut, à moins que l’image n’ait aucune valeur et soit simplement un phénomène parasite associé au phénomène principal. On comprend que dans quelques cas, l’image puisse être plus facilement que le mot reliée à l’idée, mais, en ce cas-là même, elle n’est qu’un substitut. M. Stricker paraît du reste admettre qu’elle tient la place des autres mots qui pourraient venir à l’esprit pour expliquer le premier, mais encore tous les mots réunis, et l’image avec eux ne reconstitueraient pas une idée. Supposez un homme à qui l’on apprenne le mot de vertu dans une langue qu’il ne connaît pas, et une longue phrase dans la même langue pour lui expliquer ce mot ; supposons encore qu’on lui fasse associer à ce mot une image de femme (qui ne réveille aucune tendance, aucune idée), il est impossible de prétendre que cet homme comprendra ce mot. Qu’est-ce donc au juste que comprendre un mot abstrait ?

L’homme peut être considéré à un point de vue général comme un appareil complexe sensitivo-moteur. Il reçoit des impressions, les emmagasine, les systématise et réagit. Plus la systématisation est forte entre les impressions et les actes, plus les tendances créées, entretenues, développées par l’expérience, l’hérédité, l’exercice, l’habitude, l’influence réciproque, etc., sont capables de maintenir l’harmonie entre l’homme et le monde, plus aussi l’homme se rapproche de la perfection. À ce point de vue, toute sensation, toute image, toute connaissance peuvent être considérées comme le début, la cause ou l’occasion d’un acte ; au moins doivent-elles être envisagées comme exerçant une influence sur les actes de l’homme et comme déterminant d’une certaine manière la systématisation interne des tendances et les relations de l’organisme et du milieu en exerçant quelque influence sur les réactions de l’organisme. Ainsi, si je sais par exemple que le feu brûle, cette connaissance combinée avec quelques autres faits internes, comme la crainte de la souffrance, etc., et quelques sensations, comme la vue du feu ou du sentiment de la chaleur, déterminera ma conduite de telle sorte que j’éviterai de trop m’approcher du feu. Il en est de même pour toute connaissance ; comprendre un fait, c’est pouvoir être impressionné par lui de manière que nos tendances, nos habitudes, nos pensées, nos actes soient influencés par la considération de ce fait ; comprendre la phrase qui exprime ce fait, c’est être impressionné