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Ces différents genres d’intérêt se rencontrent au plus haut degré dans le savant et profond ouvrage que M. Berthelot vient de consacrer aux origines de l’alchimie. En même temps qu’il comble une lacune de l’histoire des sciences et de l’esprit humain, ce livre transfigure l’idée de l’alchimie, et démêle, dans l’amalgame d’éléments divers dont se compose cette science imaginaire, une théorie philosophique, encore soutenable aujourd’hui même dans ses principes les plus généraux.

En quoi M. Berthelot modifie l’idée de l’alchimie, c’est ce dont on se rendra facilement compte, si l’on se reporte aux portraits qui en ont été faits jusqu’à nos jours. Bacon ne voyait dans l’alchimie qu’une magie superstitieuse et une routine aveugle. Les alchimistes, disait-il, prétendent fabriquer de l’or sans en connaître le mode de formation naturelle, en allant simplement d’expériences en expériences, au hasard et sans méthode. Ils sont comme les fourmis qui ne savent qu’amasser et jouir, tandis que le vrai savant, pareil à l’abeille qui élabore le suc des fleurs, va des expériences aux axiomes théoriques pour redescendre des axiomes aux expériences. Les empiriques tels que les alchimistes, conclut Bacon, professent des opinions beaucoup plus monstrueuses que celles des rationalistes, parce que leur philosophie est fondée, non plus sur les notions vulgaires, qui, si superficielles qu’elles soient, ont du moins quelque chose d’universel et conviennent en réalité à beaucoup d’objets, mais sur un petit nombre d’expériences restreintes et obscures. La généralisation du faux savant est bien plus arbitraire et vaine que celle du sens commun.

Ce jugement de Bacon est encore, à peu de chose près, celui de nos contemporains.

M. Dumas, dans ses Leçons sur la philosophie chimique, professées en 1836 au Collège de France, expose que ce qui caractérise la chimie antérieure à Lavoisier, c’est l’absence de théories. Les Égyptiens, dit-il, chez qui cette science est née, sous la forme de la chimie industrielle, n’avaient su que lier entre elles des observations fortuites, sans remonter à aucun principe. Dans l’alchimie du moyen âge, l’empirisme fut recouvert d’un certain vernis de magie, qui doit être attribué aux influences orientales, mais il ne s’éclaira d’aucune vue théorique. Ce qui, de la sorte, s’est développé utilement parmi ces chercheurs opiniâtres, c’est uniquement l’esprit d’observation et d’expérimentation ; et les découvertes très réelles et importantes qu’ont faites les adeptes de l’art sacré et les alchimistes sont proprement un exemple de ce que l’on peut trouver avec le temps par l’effet du seul hasard, sans être guidé par aucune vue philosophique.

Enfin Hœfer, dans son Histoire de la chimie, publiée en 1842, distingue trois époques : l’antiquité grecque, laquelle eut l’intuition des causes naturelles et véritables des choses, mais ne sut pas les démontrer ; le moyen âge qui, soumis à l’autorité spirituelle, se livra à des spéculations mystiques et remplaça les causes naturelles des Grecs par des causes surnaturelles telles que les démons ou les qua-