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elle vit, alors même qu’en principe elle s’impose de demeurer immuable. » Si aisé qu’il soit d’accumuler les textes de la théologie catholique qui ont proscrit la liberté des cultes, la liberté de penser, la liberté de la presse, il n’est malheureusement pas beaucoup plus difficile d’instruire de la même manière le procès de branches du christianisme qui passent dans l’opinion vulgaire pour avoir été le premier asile de la liberté. Il est impossible, en effet, à n’importe quel historien consciencieux de s’inscrire en faux contre des assertions telles que les suivantes : « S’il fallait déclarer incompatibles avec la civilisation moderne toutes les Églises qui ont repoussé la liberté des cultes et la tolérance de l’erreur, ce n’est pas le seul catholicisme romain qui serait à prescrire, mais bien l’orthodoxie orientale, et l’anglicanisme épiscopal, et le protestantisme dans l’inépuisable fécondité de ses sectes ; ce serait, en somme, remarque l’auteur, tout le christianisme, pour ne pas dire toute religion. » Il est regrettable que, poussé par les besoins d’une ardente polémique, on ait méconnu des faits, qui ne font, si l’on veuf, honneur à personne, mais n’autorisent point à rejeter sur un seul la faute de tous. « Partout, dit fort justement M. Leroy-Baulieu, jusque dans les pays célébrés comme le berceau classique des franchises politiques, en Hollande et en Suisse, en Angleterre et aux États-Unis, en république comme en monarchie, les peuples protestants les plus éclairés et les plus passionnés pour la liberté ont, sous l’influence de leur clergé et de leurs théologiens, inscrit dans leurs constitutions des lois draconiennes contre les hétérodoxes, tantôt leur interdisant entièrement le territoire de l’État, tantôt restreignant arbitrairement l’exercice de leur culte, tantôt les réduisant systématiquement à une sorte d’ilotisme civil, les traitant en parias incapables d’occuper les emplois publics. Ainsi ont procédé, et les épiscopaux de la Grande-Bretagne, et les presbytériens d’Écosse, et les puritains de la Nouvelle-Angleterre, et les gomaristes de Hollande, et les calvinistes de Genève, et les luthériens de Suède. Dans la plupart des pays protestants, la liberté des cultes, l’émancipation des catholiques notamment, est de date récente, et, lorsqu’elle lui a été arrachée, le piétisme évangélique s’en est d’ordinaire dédommagé en substituant à l’intolérance de la loi une intolérance non moins vexatoire et tracassière, l’intolérance des mœurs. ».

En réalité, l’histoire des institutions politiques fait ressortir que la liberté civile et politique a, dans les pays les plus anciennement en possession du self government, en Angleterre, en Hollande, aux États-Unis, en Suisse, précédé la liberté de penser et la liberté des cultes, autrement dit la liberté religieuse. Sous l’influence d’une sorte de processus logique, qui n’est nullement d’accord avec la série réelle et la genèse des événements, on tend à s’imaginer que les diverses libertés publiques sont nées d’une idée abstraite, Rien n’est moins exact. Comme le dit M. Leroy-Beaulieu avec beaucoup de finesse, leur origine est d’ordinaire moins noble, leurs parents plus grossiers ; et celles dont la naissance a été le plus humble, celles qui ne peuvent