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REVUE GÉNÉRALE.histoire et philosophie religieuses

circonspection sur un terrain plus dangereux. Quoi qu’il en soit de ces questions d’origines religieuses, qu’on ferait beaucoup mieux à notre avis d’écarter jusqu’au jour où l’on aura déterminé avec précision le sens et la date des différents documents sur lesquels s’échafaudent les théories les plus divergentes, le livre de sir A. Lyall sera consulté par les hiérographes et les mythologues avec l’intérêt que méritent ses connaissances spéciales, la hauteur de son point de vue, l’art de son exposition[1].

Après avoir tour à tour parlé des premiers temps du christianisme avec MM. Labanca, Stapfer, Sabatier et Chiappelli, visité l’Amérique de la conquête espagnole avec M. Réville, parcouru l’Inde avec MM. Bourquin et Lyall, nous nous rabattrons sur l’époque contemporaine, sur les débats et les mouvements du christianisme et de la philosophie religieuse de nos jours, avec les livres qu’il nous reste à examiner, signés des noms de MM. Leroy-Beaulieu, Barzellotti et R. Perrin.

On ne s’étonnera pas que M. A. Leroy-Beaulieu ait su apporter dans l’examen même de délicates controverses qui touchent au temps présent le souci d’information exacte et l’esprit de curiosité bienveillante et éclairée dont ses divers ouvrages portent la marque. C’est pourquoi son nouveau volume sur l’Église et le libéralisme de 1830 à nos jours[2] doit trouver place dans une Revue telle que celle-ci. Je vais tout de suite à l’une des questions les plus palpitantes que soulève cet ouvrage : Le catholicisme est-il incompatible avec les libertés modernes ? En d’autres termes, est-il possible aux croyants « d’être à la fois de leur Église et de leur temps, de rester citoyens sans cesser d’être catholiques ? » M. Leroy-Beaulieu fait d’abord jusquement remarquer que « € parmi les catholiques comme parmi les incrédules qui, pour des raisons contraires, soutiennent l’incompatibilité absolue de l’Église romaine et des libertés modernes, il est un mode de démonstration fort en vogue, que beaucoup considèrent comme irréfutable, » mais que, pour sa part, il ne saurait regarder comme suffisant. C’est la démonstration à l’aide de textes et d’exemples empruntés aux différentes époques de l’histoire, aux diverses autorités ecclésiastiques, etc. Exemples et textes ont leur importance, particulièrement pour l’époque à laquelle ils appartiennent ; ils ne sauraient prétendre à une valeur décisive pour un temps éloigné. « Ils prouveraient pour la théorie qu’ils ne prouveraient pas pour la pratique. Une religion, en effet, dit excellemment M. Leroy-Beaulieu, comme toute chose vivante, se fait pratiquement au milieu où

  1. Récemment et à propos d’une leçon, d’ailleurs fort intéressante, de M. Goblet d’Alviella, nous avons dans la Revue critique signalé fortement les abus de l’esprit de système qui compromettent l’avenir des études d’histoire religieuse. M. Goblet a aussitôt répliqué à nos observations dans la Revue de l’histoire des religions, avec une pointe d’émotion qui nous a prouvé que nous avions frappé juste. Nous reviendrons prochainement et avec plus d’ampleur sur cet important sujet.
  2. In-12, xx et 298 pages.