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rieure », mais « autant de conceptions vivantes et fertiles d’espèces qui germent constamment et jettent de nouvelles pousses au temps actuel et dans le pays où on les trouve ».

C’est précisément cet état « vivant » de la religion, se manifestant par des créations incessamment renouvelées, qui à encouragé sir A. Lyall à proposer à son tour une explication de la naissance et du développement des mythes divins dans l’Inde par l’application au temps passé des phénomènes qu’il a observés dans le présent. Il combat à cet égard, dans son chapitre intitulé Origine des mythes divins dans l’Inde, non moins le scepticisme de Grote, refusant « de considérer les mythes comme fournissant le moindre témoignage sur des questions de fait », que les théories, si à la mode, il y a quelques années surtout, de l’éminent indianiste Max Müller. Nous ne prendrons point la défense de ce dernier, dont les vues nous paraissent avoir engagé les études d’histoire religieuse dans une voie assez dangereuse ; nous ne romprons point davantage de lances en faveur de Grote, dont la méfiance nous semble cependant dictée par un sentiment assez juste. Quant au système que préconise, à son tour, sir A. Lyall, et qui est que les différentes formes religieuses ont à leur base la transfiguration de personnages empruntés à la réalité, nous nous bornerons à formuler les plus expresses réserves. Si cette tentative de résurrection de l’evhémérisme offre cet intérêt particulier qu’elle repose sur une connaissance très spéciale de circonstances locales et authentiques, nous ne saurions toutefois nous résoudre à y voir plus qu’une hypothèse ingénieuse, une agréable construction de tête. L’auteur, dans sa préface, s’exprime d’ailleurs à cet égard avec une réserve si pleine de goût, qu’une solennelle protestation serait ici déplacée. Voici la manière très spirituelle dont il excuse sa hardiesse : « Notre second chapitre est, il est vrai, une tentative passablement aventurée pour ressusciter les notions-discréditées d’Evhémère au sujet de l’origine des mythes et pour suggérer que quelques-unes des théories récentes sur les sources de la mythologie ancienne ont été poussées trop loin. L’auteur toutefois n’a aucune prétention à l’érudition ; il ne réclame d’autre mérite que celui d’avoir analysé et enregistré la croissance visible des mythes dans l’Inde comme un phénomène qui ne peut que jeter beaucoup de lumière sur la genèse des légendes héroïques ou divines de l’antiquité classique, en. Europe aussi bien qu’en Asie. Dans ce chapitre, comme en d’autres encore, on expose sommairement la manière dont la faculté créatrice des mythes se répand en procédés qui engendrent le polythéisme par l’élévation graduelle des héros, des saints et des personnages marquants aux honneurs superbes de la divinité. La rapidité avec laquelle se transforme leur histoire réelle et se perd dans les nues leur origine terrestre, l’étendue suivant laquelle s’opère encore de cette façon l’évolution des déités sur une large portion de l’Asie, ne sont peut-être pas suffisamment connues et appréciées même par ceux qui étudient les religions primitives. » Arrêtons-nous ici et répétons qu’on ne saurait s’engager avec plus de