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REVUE GÉNÉRALE.histoire et philosophie religieuses

Il ne s’agit pas bien entendu de dessiner les figures célèbres de la théologie brahmanique, non plus que de raconter les grands mythes et les fables héroïques communes à l’Inde entière. « En effet, la doctrine du brahmanisme, avec tout son appareil de cérémonial, avec ses sectes orthodoxes ou hétérodoxes, fleurit en cette province particulière à peu près comme en toute autre, » et l’intérêt d’une pareille exposition serait médiocre. « Mon but, dit l’auteur, est de chercher si l’on ne pourrait ordonner les diverses notions superstitieuses et les formes d’adoration qui tombent sous l’observation journalière dans un district de l’Inde, de manière à jeter quelque lumière sur les théories relatives à la croissance graduelle et au développement successif des religions, suivant des phases qui s’enchaînent. Renfermer, pour cet essai, la sphère d’observation dans les limites d’une seule province est une condition qui ne laisse pas d’avoir ses avantages. » Cette proposition séduisante est développée avec beaucoup d’art dans les lignes suivantes : « En comparant des époques différentes, des sociétés diverses et des hommes placés dans des milieux physiques dissemblables, nous pouvons réunir sans difficulté toutes les espèces et variétés de superstition nécessaires pour équiper nos théories respectives sur l’évolution religieuse. Mainte personne s’est ainsi accoutumée à construire des théories de ce genre à l’aide de matériaux provenant d’une infinie diversité d’habitats ou de races disséminées à travers un long espace de temps. L’avantage de pouvoir opérer notre récolte sur un si vaste champ peut nous tenter parfois d’attribuer aux coutumes et fantaisies de sociétés fort éloignées et très différentes des relations et des connexions plus étroites qu’il n’en existe réellement. Mais, s’il est possible de recueillir dans un seul pays tous les spécimens vivants, leur affinité semblera peut-être plus démontrable, et leur enchaînement ou filiation plus intelligible. En tout cas, les faits actuels se prêtent mieux à une vue d’ensemble et rentrent mieux dans la sphère des recherches exactes, tandis qu’il peut être intéressant (en dehors de tonte théorie) d’observer la végétation des croyances apparentées à leurs divers degrés de croissance, grandissant à l’ombre des grandes traditions et des allégories orthodoxes du brahmanisme. »

On ne saurait s’engager avec plus de circonspection dans le chemin, semé de fondrières, des origines religieuses. Si ce n’était abuser de l’espace dont nous disposons à cette place, nous suivrions volontiers l’auteur dans son essai de classer « les différentes sortes de fétichisme et de polythéisme qui composent la religion populaire du Bérar » — c’est la province à l’étude de laquelle il s’est consacré. Il n’y en a pas moins de douze, depuis le culte de simples morceaux de bois, de pierre et d’accidents de terrains locaux jusqu’au culte des dieux suprêmes de l’hindouisme. L’auteur déclare lui-même qu’il y a forcément de l’empirisme dans l’établissement de ces divisions ; mais, ce qui est du plus haut intérêt, c’est que ce ne sont pas là d’après lui des formes mortes, « débris vermoulus d’une foi supérieure ou d’une superstition infé-