Page:Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome XXI, 1886.djvu/513

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
509
REVUE GÉNÉRALE.histoire et philosophie religieuses

de sang qu’ils ont subie de la part des musulmans, et ce qui nous fait comprendre, d’autre part, les énormes difficultés que l’on éprouve, plus que chez aucune autre nation, à christianiser les peuples de l’Inde, et parmi eux surtout ces castes élevées des « deux fois nés » qui, connaissant tous, plus ou moins, la vraie teneur de leurs livres sacrés et le fond de leur philosophie, résistent plus facilement aux doctrines nouvelles que les castes basses qui savent moins se défendre du reproche d’idolâtrie. — Presque jusqu’à ce jour, continue M. Bourquin, les missionnaires, assourdis en quelque sorte par tant de noms divins et comme aveuglés par un si grand nombre de sanctuaires et d’idoles ; n’avaient vu et n’avaient attaqué que le polythéisme et le fétichisme. Ils s’imaginaient, avec bien des orientalistes d’ailleurs, que le panthéisme n’était enseigné que par les traités purement philosophiques, qu’il n’était le partage que des hommes instruits et des ascètes, et que le peuple était polythéiste et même grossièrement idolâtre et fétichiste. Les Indous, se sachant calomniés et méconnus, haussaient tout simplement les épaules du haut de leur philosophie panthéiste. Maintenant que des études sérieuses et la critique des religions de l’Inde nous forcent à reconnaître que le panthéisme indou est aussi vieux que la nation elle-même et que sa littérature la plus ancienne, et qu’il est à la base de tous les livres sacrés, de tous les cultes, de tous les rites, de tous les usages, de toutes les castes, de toutes les sectes religieuses et de tous les systèmes de philosophie, les missionnaires éclairés devront nécessairement changer de tactique, et tous leurs efforts devront converger vers une réfutation directe et sérieuse du panthéisme. »

Pour bien faire voir que le panthéisme n’est pas un accident dans l’histoire religieuse de l’Inde, M. Bourquin s’est proposé de démontrer que le livre sur lequel repose tout l’édifice de la littérature sacrée, que les Védas eux-mêmes en sont tout imprégnés. Le plan de cette dissertation, abstraction faite de quelques considérations générales qui ouvrent, est le suivant : chapitre I, définition des Védas et de la littérature qui les compose ; chapitre II, démonstration du caractère panthéistique des Védas ; chapitre III, le panthéisme védique comme système.

Nous estimons trop la science de M. Bourquin pour ne pas lui cacher que sa nouvelle publication nous a quelque peu déçu. L’auteur est très au courant du rituel et de l’organisation religieuse de l’Inde actuelle ; il l’est beaucoup moins des travaux de la critique moderne sur les Védas et la littérature sacrée dont ils sont le plus vénérable monument. Les travaux considérables de MM. Barth et Bergaigne, par exemple, pour ne citer que ceux-là, paraissent lui être restés inconnus, ou tout au moins n’en trahit-il nulle part l’usage. Il semble qu’il en soit demeuré au point qu’avaient atteint les études relatives à l’Inde il y a ua demi-siècle, avant le renouvellement complet que la jeune école leur a fait subir. Ce n’est pas seulement la transcription généralement adoptée qui nous reporte à une phase dépassée de la science, c’est la terminologie tout entière. Ainsi M. Bourquin parle constamment de la prétendue