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simplement que l’homme n’adore jamais à demi. C’est : le trait monothéiste inconscient, inné, de l’esprit humain qui, plus tard et à la suite de nouveaux progrès de la pensée et du sentiment religieux, fera du monothéisme une sorte de nécessité intellectuelle. Il n’en saurait être encore question au moment où nous sommes, et la preuve en est que chaque divinité à son tour reçoit des mêmes adorateurs, le même genre d’hommages, de louanges et d’exaltation suprême. On aura remarqué que, tout en revêtant définitivement la forme humaine, les dieux américains portent encore la trace de leur ancienne nature animale, Uitzilopochtli, celle du temps où il n’était qu’un dieu colibri, Tezcatlipoca les traits qui rappellent l’ancien tapir céleste, Quetzaicoatl les formes du reptile, et j’inclinerais à croire, au vu de leurs symboles d’autorité, que les majestueux Incas avaient traversé une période où leur prétention était de représenter devant les hommes le grand Condor éblouissant dont on les croyait descendus. — C’est ainsi que, sur ce champ obscur, la loi de continuité s’atteste à travers cette masse de phénomènes qu’on serait, au premier abord, tenté de prendre pour les produits de l’imagination capricieuse et de la fantaisie sans aucune règle[1] ».

Avec M. Bourquin et son Panthéisme dans les Védas[2], nous quittons à la fois les complications du panthéon américain et les boucheries de ses cérémonies religieuses pour une atmosphère plus sereine, celle de la discussion des textes et de la fixation de leur sens et de leur portée. M. Bourquin, dont nous avons déjà eu l’occasion de louer les travaux, est chez nous un des meilleurs connaisseurs de l’organisation religieuse de l’Inde contemporaine, de ses sacerdoces, des cérémonies de son culte. Aujourd’hui il nous ramène en arrière, mais sa préoccupation reste toute moderne. Son principal objet en prenant la plume semble, en effet, avoir été de donner aux missions chrétiennes, particulièrement protestantes, un avertissement. Ii paraît que les missionnaires font généralement fausse route dans leur polémique contre la religion indigène lis s’acharnent à réfuter l’idolâtrie, le polythéisme, le fétichisme, tandis qu’ils devraient s’en prendre au panthéisme de la théologie hindoue. M. Bourquin voit dans cette erreur de jugement la principale raison de leur insuccès. Écoutons-le lui-même : « Il est hors de doute que l’hindouisme, soit ancien, soit moderne, avec ses phénomènes naturels personnifiés, avec sa multitude d’êtres divins, de sanctuaires, d’étangs sacrés, de fleuves, de montagnes saintes, d’animaux, d’arbres sacrés, de plantes et de cailloux déifiés, est fondé sur les bases d’un panthéisme raisonné. C’est ce qui nous explique, d’une part, la persistance avec laquelle les Indous sont restés fidèles à leur religion et cela malgré les siècles, malgré les influences contraires, malgré la longue persécution de feu et

  1. Nous insisterons, de nouveau, auprès de M. Réville, pour qu’il mette des titres courants au haut des pages.
  2. In-8o, 117 pages.