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REVUE GÉNÉRALE.histoire et philosophie religieuses

Nous ne suivrons pas M. Labanca dans l’explication qu’il donne de la raison pour laquelle Jésus se donne le titre de Messie ou de Christ, et du sens dans lequel il entendait ce titre. Le « christianisme de Jésus » devient le « christianisme des apôtres, » avec les différents aspects qu’il tire soit de la personnalité de ses prédicateurs, soit du milieu où ils agissent. Nous remarquons ici attention donnée par l’auteur à l’écrit la Doctrine des douze apôtres, récemment découvert, dont le monde théologique s’est si préocupé dans les dernières années et dont nous aurons à parler plus particulièrement au cours de cette Revue. Le dogme relatif à la personne de Jésus, le Christ ou Messie, que nous avons vu se fixer pour la première fois sous la plume et sur les lèvres de la génération apostolique, avait encore bien des phases à accomplir avant de recevoir sa dernière forme au concile de Nicée. M. Labanca expose, avec le même soin et la même conscience que précédemment, les diverses phases de cet important processus historique. De l’ensemble de cet examen, à la fois historique et critique, se dégagent des conclusions. M. Labanca les a exposées dans un chapitre, qui forme le neuvième et dernier du volume. Les contradictions qu’il a relevées dans les différentes formules de la foi chrétienne primitive et qu’il n’est désormais plus possible de nier, sont pour plusieurs une occasion et un motif de blâme et de dérision ; pour un esprit philosophique, elles sont simplement la marque de la « naturalité » des origines chrétiennes. Il s’agit bien là d’un fait historique se développant dans une situation historique aux conditions de laquelle il lui faut s’accommoder. La séparation de l’élément moral et de l’élément métaphysique ou dogmatique que renferme le christianisme primitif s’impose à la conscience moderne. La mort du dogme ne sera pas la mort du christianisme, elle en sera plutôt l’affranchissement.

L’analyse qui précède suffit à faire apprécier l’œuvre consciencieuse et distinguée du professeur de l’université de Pise. M. Labanca nous annonce qu’il prépare une suite à son ouvrage, dans laquelle il « étudiera la philosophie chrétienne en rapport avec le christianisme primitif dans ses problèmes historiques et scientifiques les plus importants. » Nous lui souhaitons de trouver les encouragements que méritent son patient labeur et son ample information, L’œuvre que nous avons sous les yeux réclamerait sans doute des réserves de détail ; en un travail d’ensemble qui touche à tant et à de si gros problèmes, il est impossible qu’il ne se produise pas de nombreuses divergences dans l’appréciation des faits. Il va sans dire que nous ne saurions entrer ici dans une discussion, que la nature même de l’œuvre ne comporte pas. Ce que M. Labanca a voulu démontrer à ses compatriotes, c’est que les questions relatives aux origines chrétiennes, qu’un dogmatisme et un rationalisme également suffisants s’accordent à présenter comme tranchées et épuisées dès longtemps, revêtent un aspect et reprennent un intérêt tout nouveaux quand on y apporte un sincère esprit de recherche indépendante, de haute et sympathique curiosité. Ce sont ces qualités essentielles que les critiques impartiaux se plairont à louer dans le livre de M. Labanca,