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sensibles par lesquelles l’action elle-même s’’alimente. On peut concevoir que cette représentation, dans certains cas, se développe d’une façon monstrueuse et atrophie la chose représentée ; c’est alors que naissent légitimement les conflits de la science et de la religion. Mais tant que l’expression mythique n’excède pas ses limites normales et n’absorbe pas en elle-même ce qu’elle exprime, la science n’a aucun lieu de l’attaquer.

De plus — et ceci va nous amener à dire quelques mots sur l’importante question de l’avenir des religions — la façon dont l’activité sociale prend conscience d’elle-même dans les dogmes et dans les cultes est-elle impérissable ? N’arrivera-t-il pas un moment où, la forme religieuse ayant complètement disparu pour laisser le fond à nu, la possibilité même de la lutte intestine cessera d’exister ? N’y a-t-il pas lieu de croire qu’à une certaine phase du développement social, la religion étant devenue inutile par suite de l’intégration complète de l’instinct de la civilisation, elle s’éliminera d’elle-même, comme le fait la conscience quand les actes qu’elle éclairait et dirigeait se sont constitués en automatisme ? L’homme, en un mot, ne retournera-t-il pas à l’état pré religieux, mais avec la culture en plus ?

À cette question, la théorie semble indiquer qu’il faille donner une réponse affirmative. En effet, ce qui se passe dans les cas particuliers doit provenir d’une loi générale, et nous n’avons aucune raison pour ne pas étendre à la sociologie ce qui est vrai en psychologie. Or, nous l’avons vu, c’est un fait que la conscience disparaît, quand l’adaptation nouvelle qui a pris naissance et qui s’est développée sous son impulsion est définitivement acquise. Si donc la lumière qui éclaire l’activité individuelle s’éteint lorsqu’elle est devenue superflue, celle qui éclaire l’activité collective doit faire de même. Le mécanisme une fois créé dans l’être organisé, celui-ci perd toute notion de ses effets : le mécanisme une fois créé dans l’espèce, l’espèce n’en reflétera plus le jeu. À la religion aura succédé l’automatisme social ; les instincts auront pris la place des dieux. Ainsi le principe de la sélection, qui nous a conduit à donner un sens et un rôle à la religion, nous force en même temps à lui conférer un caractère temporaire. Nécessaire tant qu’elle a rendu des services, elle deviendra impossible dès qu’elle cessera d’en rendre. Quand et où un pareil évanouissement se produira-t-il ? c’est ce que personne ne saurait déterminer. Ce qu’on peut simplement affirmer, c’est, d’une part, qu’il ne se fera pas partout au même moment, tous les peuples ne suivant pas une marche parallèle dans leur développement — il en est peut-être chez lesquels il ne s’effectuera jamais et qui resteront toujours à l’âge de la culture consciente, —