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LESBAZEILLES. — bases psychologiques de la religion

objets. Il est impossible de faire de l’absolu un terme de connaissance sans violer toutes les lois de la représentation consciente, il ne peut jamais être qu’un mode suivant lequel les choses sont connues. Ne disons pas que le mythe est un Dieu (forme absolue) symbolisé dans une matière relative ; disons que c’est un acte (matière relative) introduit dans une forme absolue. Il s’ensuit qu’en ôtant à la religion l’absolu, on ne lui ôte pas son fond même, comme cela arriverait si elle avait l’absolu pour objet primitif. On ne la prive que de ses conditions représentatives : il reste encore, après cette suppression, ce qui la constitue subjectivement, reliquat indéfectible qui est constitué, comme on le sait, par les éléments sociaux qu’elle a pour fonction de rendre conscients. De même que, dans l’activité psychique individuelle, derrière la conscience il y a le réflexe, de même dans la religion (forme de l’activité psychique collective), derrière l’absolu il y a l’action.

Le lecteur aperçoit sans doute à présent comment nous comprenons la réconciliation de la science et de la religion, et quelle synthèse nous croyons qu’on pourrait substituer aux synthèses intellectualistes proposées jusqu’ici. Si l’union ne peut se faire sur le terrain de l’intelligence, c’est sur celui de la pratique qu’il faut la tenter. Là elle est possible, et même, peut-on ajouter, elle se fait nécessairement. Puisqu’en effet le contenu fondamental de la religion consiste en facteurs sociaux, il est évident que ce n’est jamais ce contenu qui peut la mettre en rivalité avec la science, composée de facteurs de même nature. Au-dessus de toute condition intuitive et sur le domaine des réalités, l’opposition cesse tout naturellement, ou plutôt elle ne peut se manifester. Il n’y a pas plus d’antinomie profonde entre la religion et la science, qu’il ne peut y en avoir entre la représentation symbolique de relations internes et la perception positive des relations externes qui y correspondent. La religion et la science ont des lois de connaissance différentes, mais les objets auxquels elles imposent chacune leurs lois sont parallèles. C’est une question de forme, peut-on dire sans jeu de mois, qui les sépare l’une de l’autre : faites abstraction de la forme, l’opposition tombera nécessairement.

Ainsi, c’est l’activité en face du milieu, l’évolution de la culture qui est le terrain commun et par suite le lieu de réconciliation de ces deux classes de manifestations sociales ; c’est là qu’elles peuvent unir leurs démarches et s’attacher chacune à leur tâche spéciale sans se heurter ni se combattre. Les buts, nous l’avons dit, ne seront jamais identiques, mais les efforts peuvent être synergiques. En un mot, la religion est l’action sociale pensée sous des formes vives et