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d’absolu n’appartient en propre ni à la religion ni à la science, il est évident que ce n’est pas elle qui opérera leur réconciliation.

Nous disons, d’un côté, que la science n’aboutit pas à l’absolu de son propre mouvement, et que les raisonnements tendant à le lui imposer comme terme ultime ne peuvent qu’être reniés par elle. La science, en effet, on l’a répété bien des fois, n’a d’autre but que de découvrir des relations constantes entre les phénomènes, et d’unifier ainsi l’expérience. Lorsque ce travail est fait, sa tâche est achevée : le monde des apparences reliées par des rapports invariables lui suffit entièrement. On peut, il est vrai, lui démontrer par voie dialectique que les données dont elle part impliquent des éléments qu’elle n’atteint pas avec ses procédés, que tout phénomène se rapporte à un noumène, toute apparence à une réalité. Mais elle n’est nullement forcée, par ses conditions intrinsèques, de tenir compte de cette argumentation, ni d’acquiescer bénévolement aux lois que la philosophie lui impose. Elle a même tout intérêt à les repousser ; car cet absolu qu’on lui fait entrevoir au fond du sanctuaire est pour elle une véritable épée de Damoclès ; cet intrus qui menace sans cesse, quoi qu’on en dise, de s’ingérer dans le monde des faits, est de nature à inquiéter sérieusement les chercheurs. Aussi remercient-ils d’ordinaire les philosophes de leurs éclaircissements, et retournent-ils à leurs laboratoires. Si c’est par l’absolu qu’on veut réconcilier les sœurs ennemies, le débat a chance de se prolonger longtemps encore.

La religion, de son côté, ne tient pas tant à l’absolu qu’on nous le dit. Comme cela résulte de nos analyses précédentes, ce qu’il y a d’absolu dans les conceptions religieuses, ce n’est pas leur matière même, c’est-à-dire la condition de culture qu’elles symbolisent, c’est l’aspect que prend cette condition quand elle se transforme en mythe. La religion, pourrait-on dire, consiste à donner une valeur absolue à des choses relatives. Elle isole du développement social certains facteurs, les transforme en termes indépendants de contemplation et d’adoration, et de choses qui existent en relations déterminées avec d’autres, elle fait des choses qui apparaissent comme n’étant en relation avec rien ; mais ce procédé d’idéalisation ne fait que donner une enveloppe aux éléments du mythe et du culte, il ne change pas leur nature. Autrement dit, c’est la forme personnelle dans laquelle la religion fait entrer ses objets qui leur donne un caractère absolu, et qui les érige en entités pouvant être pensées en dehors de tout rapport particulier : ôtez cette forme, vous retrouvez le contenu avec son caractère relatif.

Ainsi, l’absolu n’entre dans la religion qu’à titre d’élément formel. Ce n’est nullement un objet, c’est une façon d’apercevoir certains