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tandis qué l’unification des processus intellectuels incombe à la philosophie, l’œuvre propre de la religion est l’unification des tendances et de leurs produits. L’humanité n’a pas toujours nettement compris cette duplicité de tâche, et a souvent poursuivi les deux buts par les mêmes méthodes, ce qui, invariablement, ne l’a conduite à aucun ; mais théoriquement et en toute précision, il est incontestable que le progrès philosophique se propose essentiellement de mettre l’intelligence d’accord avec elle-même en rapprochant les sensations (ou les phénomènes) par leurs côtés communs, et la religion d’unifier les volontés en déterminant un centre unique des mobiles. Évolution des représentations par la philosophie, évolution des tendances par la religion, recherche de l’unité du savoir par la première, de l’unité du vouloir par la seconde : tel est, en deux mots, le schéma du développement mental.

On le voit, la philosophie et la religion reproduisent, dans l’esprit collectif, la dualité de l’esprit individuel. La première n’est autre chose que l’intelligence de l’espèce considérée dans son développement historique, la seconde est la volonté de l’espèce au même point de vue. L’une vit de formes et adresse l’homme à l’objet ; l’autre est inséparable de son contenu et réfère l’homme à lui-même. La philosophie, objective et contemplatrice, ne pourra donc jamais s’identifier à la religion, de nature subjective et pratique. Une métaphysique n’est pas plus une religion qu’une perception n’est une émotion, ou qu’une idée n’est une action.

On aperçoit maintenant avec une entière évidence, nous l’espérons, le caractère factice des théories qui, confondant les deux ordres de faits, vont chercher à la même source, en dehors de l’homme et dans une intuition passive, l’origine commune de produits si distincts. Méconnaissant l’analogie profonde qui existe entre la constitution psychique de l’individu et celle de l’espèce, les partisans de ces théories aboutissent à un idéalisme religieux sans portée, et transforment les religions en systèmes d’ontologie, qui ne différent des systèmes ordinaires que par un peu plus d’incohérence. Il faut en dire autant, d’ailleurs, de ceux qui à la métaphysique substituent la physique, et qui émettent à la base de l’évolution religieuse, non des idées, mais des sensations. Eux aussi ont oublié la distinction fondamentale des deux classes de faits dans l’esprit, et ont cherché dans une classe ce qui ne pouvait se trouver que dans l’autre. Encore une fois, dans la religion tout appartient à l’homme : il fournit le moule et le contenu du mythe, il adresse le culte et le reçoit. Tandis que dans tous les produits de ses fonctions représentatives il entre forcément en rapport avec un objet étranger (réel ou idéal), dans les