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LESBAZEILLES. — bases psychologiques de la religion

est l’objet reproduisent la façon dont l’homme se le procure : il est l’usage du feu et non le feu objectif, réel ou idéal.

Rien d’ailleurs ne montre mieux le caractère primitivement pratique du védisme que le nom même sous lequel il désigne son Dieu suprême : Brahmâ (brahman). Brahmâ, c’est la prière, ou l’activité de l’homme qui prend conscience d’elle-même et s’anticipe par une affirmation émue ; c’est le sujet se représentant son développement social et l’appelant en même temps de ses vœux ; c’est l’homme devenu dieu par le vouloir du progrès. Il ne faut pas confondre Brahmâ avec Brahman (brahma), être neutre, passif, sans vie ui bonté, qui n’est qu’une conception de prêtres philosophes, et n’a rien de vraiment religieux. Brahma n’est que le support objectif de ce qui est ; Brahmâ est l’agent capable de faire ce qui est bien. L’un est le produit de l’intelligence théorique, l’autre, le symbole de la bonne volonté. Nous retrouvons donc incontestablement dans le védisme les traits essentiels de la religion idéale. Par suite, le mazdéisme n’est pas un fait exceptionnel et isolé dans l’histoire des religions : c’est seulement l’expression plus vive et plus nette d’un fait général qui se retrouve partout. Pour les Aryas de l’Inde comme pour ceux de la Perse, le vrai Dieu, c’est la culture consciente.

L’antagonisme que nous avons signalé entre le brâhmanisme et le mazdéisme n’est, d’ailleurs, que le reflet d’un antagonisme à portée bien plus générale : celui de la philosophie même (en y comprenant la science) et de la religion, l’un et l’autre procèdent des mêmes causes et expriment le même fait psychologique. En effet, les manifestations religieuses et les manifestations philosophiques de l’esprit humain constituent, par leur nature même, deux développements nettement distincts et comme deux courants à lits séparés, quoiqu’elles puissent partiellement se confondre et contribuer aux mêmes œuvres. Si nous voulions les caractériser respectivement et définir leurs fonctions propres, nous pourrions dire assez exactement que le rôle de la religion, dans la conscience collective, est d’intégrer les actions, et celui de la philosophie, d’intégrer les représentations. Ramener les sensations à l’unité par l’intermédiaire d’idées de plus en plus abstraites, construire une série méthodique d’images qui s’emboîtent précisément les unes dans les autres, et qui, par une réduction progressive de leur nombre, finissent par tenir toutes dans une seule : tel est l’office de la philosophie. Réciproquement, la religion prend pour tâche de faire converger les actions de l’homme vers un seul but dans lequel tous les autres s’absorbent, de proposer à son émotivité un seul objet dans lequel tous les désirs s’unissent, bref, de réaliser l’harmonie dans les volontés et dans les cœurs. Ainsi,