Page:Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome XXI, 1886.djvu/490

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
486
revue philosophique

l’Avesta : il vous semblera entrer dans une école après avoir quitté un temple. Le dualisme originel a complètement disparu pour faire place à un monisme idéaliste ; la lutte du bien contre le mal a été remplacée par la recherche d’une perfection toute théorique, étrangère à l’action et sans contact avec les choses, qui ne s’établit pas par le vouloir et ne s’attaque à aucun terne de résistance, Le culte n’est plus l’invocation de l’homme fort qui s’adresse à sa propre activité et devance l’action par le désir ; c’est l’union passive d’un esprit avec un objet dans lequel il s’absorbe : il n’est plus affirmation, il est contemplation.

Même sans descendre si bas et pour s’en tenir aux lois de Manou, il est manifeste que ce code a singulièrement exagéré le côté représentatif de la religion, et amoindri le côté pratique. Les prescriptions qu’il contient s’adressent au moins autant aux facultés intellectuelles qu’au sens de la civilisation ; il ne se contente pas de symboliser la culture, il cherche à développer l’entendement. Voyez aussi comme à la simplicité et à la sécheresse de formes de l’Avesta, il s’est substitué une ampleur, une richesse d’images tout orientales, La poésie, presque absente du premier code, se donne libre carrière dans le second. Le premier est le Livre d’hommes qui veulent, le second, celui d’hommes qui imaginent. L’élément religieux, quoique vivant encore et constituant le fonds même de la doctrine, a été enseveli sous un monceau de produits qui relèvent de l’intelligence pure, et sous lesquels il faut aller le chercher ; il n’apparaît plus à fleur de peau comme chez les Perses. Bref, les éléments représentatifs ont pris le pas sur les éléments actifs ; la conscience de la culture déborde la culture elle-même ; la religion tend à se fondre dans la poésie et dans la philosophe.

C’est seulement dans la littérature védique qu’on peut retrouver une image exacte des traits primitifs, et que la religion reprend sa figure caractéristique. Là, en effet, malgré le luxe de la forme et la magnificence de l’enveloppe, le vieux fond pratique conserve presque toute sa valeur. Les conditions de la culture se montrent nettement comme contenu positif de la religion, et l’on sent très bien que ce dont il s’agit au fond, c’est de la lutte de l’homme pour son bien. La nature y est presque toujours présentée comme collaboratrice ; elle n’est adorée qu’autant que l’activité de l’homme est secondée et fortifiée par elle. En elle l’homme se retrouve encore : elle est élément de l’humanité. Agni, comme nous l’avons déjà indiqué, est manifestement le feu qui éclaire et qui échauffe, qui permet à l’état de culture de remplacer l’état de barbarie ; il n’est dieu que comme entrant en relation avec l’activité humaine, et les cérémonies dont il