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LESBAZEILLES. — bases psychologiques de la religion

primitif et sont l’œuvre de l’exégèse philosophique. La transformation de Cpenta-Mainyus en Ahura-Mazda, ce dieu suprême qui l’emporte décidément sur son rival et détruit l’égalité de la lutte en faisant pencher la balance du côté du bien, n’est certainement pas primitive ; le vieux mazdéisme semble n’avoir connu que les deux ennemis incréés, les deux éternels jumeaux. D’ailleurs, on pourrait voir dans Ahura-Mazda la personnification du progrès lui-même et de la prépondérance nécessaire de la civilisation sur la barbarie : de sorte que ce mythe, lui aussi, s’accorderait parfaitement avec nos principes. Quant au Zervan-Akerene (le temps indivisible), dont on a voulu faire le père commun des deux esprits primordiaux, c’est certainement une notion récente et d’origine métaphysique. Enfin rien dans l’Avesta ne nous renseigne positivement sur la fin du monde, et ce qu’on appelle de ce nom dans les exposés courants du système ne correspond probablement qu’à la fin d’un des actes du drame incessamment renouvelé de l’univers ; l’éternité de la lutte avec une décroissance indéfinie du mal — ce qui est la condition du développement progressif — peut donc être considérée comme ayant fait partie du dogme. Bref, il semble que le système originel reproduisait presque parfaitement les traits que nous lui avons théoriquement assignés comme à un symbole de la culture, et que nous soyons autorisé à voir en lui un exemple concret de notre religion-type. Ce n’est donc pas une abstraction que nous avons imaginée, c’est une réalité que nous avons décrite. Notre hypothèse devient un fait : en traçant les conditions théoriques de la religion, nous nous trouvons avoir exposé dans ses principes une religion réelle.

Le mazdéisme, par conséquent, nous montre clairement le caractère primitivement pratique et subjectif de la religion : il nous fait voir à l’œuvre les fonctions religieuses de l’esprit, nous en livre les produits à l’état natif, et laisse constamment apercevoir, sous l’évolution que ces produits subissent, le germe dont ils sont issus. Il serait intéressant d’établir à cet égard un parallèle entre le développement religieux chez les Perses et le même développement chez les Hindous. On apercevrait facilement que, si les premiers ont conservé, dans presque toute leur pureté, les traits de la religion primitive, les seconds les ont, au contraire, de bonne heure altérés, et ont toujours eu tendance à transformer leur religion en philosophie. Peuple éminemment spéculatif, chez lequel les facultés théorétiques l’emportaient de beaucoup sur les facultés actives, les Hindous étaient en quelque sorte prédestinés à perdre vite le sens véritable de la religion, et à la confondre avec autre chose. Comparez, par exemple, les dogmes religieux de la Baghavad-Gitâ avec ceux de