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une forme de l’antithèse fondamentale. C’est ainsi que la nature animale se trouve tout entière partagée en deux classes : les animaux purs, créés et protégés par Cpento-Mainyus ; les impurs, œuvres d’Anro-Mainyus. Or quels sont les animaux purs ? Ceux qui, comme le chien, le taureau, etc., deviennent les compagnons et les collaborateurs de l’homme, ceux qui concourent à la grande tâche de la civilisation et sont des agents du progrès. Sont impurs tous ceux qui font obstacle à l’extension de l’homme, comme les serpents, les insectes venimeux, etc., tous ceux qui s’allient aux résistances de la nature brute pour enrayer le triomphe du bien. Plus généralement encore, sont impures et créatures du Mal toutes les essences appelées Daèvas, qui représentent avant tout dans l’Avésta les défauts moraux et les imperfections de la nature physique, mais qui avaient peut-être à l’origine, comme leur nom semble l’indiquer, une fonction plus générale : celle de conférer aux choses un caractère réel et objectif, sans leur donner un caractère de bonté. Et c’est ici qu’apparaît dans tout son éclat le caractère moral et extra-intellectuel du mazdéisme, si notre interprétation est exacte. L’esprit de la chose, considérée en dehors de son utilité et comme déterminant simplement son existence, est par lui-même mauvais ; les dieux dé la lumière, fils de la raison poétique, deviennent, au regard de la volonté morale, des instruments de mensonge et de désordre. La notion inielligible des choses, jointe à son enveloppe esthétique, était pour les anciens Perses apparence sans réalité, chose indifférente et passive, par conséquent ahrimanique. Tout ce qui relève du domaine purement intellectuel est, en quelque sorte, non avenu dans leur religion ; l’existence n’y prend de valeur que si elle se classe comme terme pratique, que si elle devient, à un titre quelconque, agent ou instrument d’action. Le pur esse, identique au videri, est aux yeux du mazdéen chose trompeuse et pour ainsi dire haïssable ; il n’a droit au respect des hommes que si, à sa réalité toute nue, s’ajoute une signification morale. En un mot, rien n’’existant ici-bas que pour le bien, ce qui ne fait qu’exister n’existe pas légitimement, et l’homme n’ayant à considérer les choses qu’au point de vue de la pratique du bien, tout ce qui ne concourt pas à cette pratique est condamné, réservé à son mépris et à sa haine.

Nous savons que le mazdéisme ne s’est pas toujours présenté dans l’histoire avec cette pureté de doctrines, et qu’il a essayé à diverses reprises de transformer son dualisme en monisme. Mais, outre que ces tentatives sont peut-être des imitations du mouvement religieux de l’Inde ou de ia Judée et n’appartiennent pas en propre à la Perse, il est certain qu’elles sont très postérieures à la constitution du système