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LESBAZEILLES. — bases psychologiques de la religion

cette opposition est d’ordre essentiellement pratique, et ne doit manifestement son origine ni à des vues spéculatives ni à l’observation des phénomènes de la nature.

La spéculation, d’abord, ne saurait à aucun titre conduire à une telle distinction. Son objet est l’être, c’est-à-dire la condition inconditionnée de tout ce qui existe, l’unité suprême dans laquelle toutes les contradictions viennent se résoudre. Sa méthode consiste dans l’élimination des différences, dans la substitution d’une idée conciliatrice à des réalités opposables. Elle est donc essentiellement moniste et ne peut viser qu’un but la suppression de toute distinction dans un objet unique, conçu en dehors de toute relation avec le sujet individuel. Par conséquent, placer à l’origine des choses un dualisme nécessaire, assigner au monde une condition d’existence, et une condition qui consiste dans une opposition, c’est concevoir ce monde, non sur le type de la raison spéculative et comme un idéal intelligible, mais d’après les relations qu’il peut soutenir avec notre propre nature et sous la forme d’un milieu d’action. Il n’y a dualité que pour l’être actif, qui sent son développement, tantôt emporté par un heureux courant, tantôt menacé d’un brusque arrêt : l’être qui contemple ne voit que l’unité de sa propre intuition.

D’autre part, il est visible que l’observation de la nature ne nous apprend rien sur le caractère bon ou mauvais des choses : elle nous les donne simplement telles qu’elles sont, et l’idée d’introduire en elles un pareil élément de différenciation ne peut être empruntée qu’à une sphère toute subjective. Ranger les existences extérieures dans la double catégorie du bien et du mal, c’est voir en elles des éléments, positifs et négatifs, du développement humain ; c’est les considérer, en quelque sorte, comme des termes assimilables au sujet, et pouvant devenir, soit comme adjuvants, soit comme obstacles, des conditions de l’activité. Ce n’est donc pas plus dans l’essence objective des réalités extrinsèques, que dans la nature intellectuelle d’un être de raison, qu’on peut trouver le fondement d’une distinction semblable à celle dont part l’Aventa. La sphère de la volonté et des choses humaines est seule à pouvoir la contenir ; c’est au cours de l’action et dans les situations qu’il prend en agissant, que l’homme se heurte au mal ou rencontre le bien.

Ainsi l’antinomie fondamentale sur laquelle repose le mazdéisme, n’étant empruntée ni aux objets ni à l’intelligence spéculative, répond exactement aux conditions que nous avons cru devoir assigner à la formation des éléments religieux. Cette antinomie, d’ailleurs, se répercute sur tout le système, dont chaque partie essentielle devient