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LESBAZEILLES. — bases psychologiques de la religion

pure ne saurait fournir aux actions un foyer où elles se reflètent et se concentrent ; elle unifie les images, qui sont les conditions des actes, mais ne recueille pas les actes eux-mêmes. Il faut, pour que l’idée devienne fait, qu’elle soit fécondée par un germe d’ordre émotif ou volitionnel, et par suite le fait se réfléchit autre part qu’au lieu des idées. Si donc les régions intellectuelles de l’esprit n’ont pu fournir à l’évolution pratique ce principe éclairant et dirigeant sans lequel elle ne se fut pas produite, il reste qu’à la conscience proprement connaissante s’ajoute, dans notre constitution mentale, une autre conscience en relation immédiate avec l’activité, qu’au sens commun des représentations se joigne un sens commun de l’adaptation, une cénesthésie de la conduite. En un mot, l’homme social est un organisme pratique en voie de progrès : puisqu’à tout progrès il faut une sorte de moi, il est nécessaire qu’il y ait dans l’homme un moi pratique ; ce moi pratique, c’est la religion elle-même.

Ainsi, substituer à l’automatisme présocial une conscience d’un genre particulier, qui ouvrît une nouvelle phase évolutive et dirigeât l’adaptation collective ; telle a été l’œuvre de la religion. Elle a pris l’homme au moment où la formation récente des groupes sociaux le plaçait dans des conditions imprévues et lui imposait des obligations sans précédent. Pour répondre à ce nouveau milieu, il fallait de nouveaux organes ; le centre de l’adaptation étant déplacé — d’individuelle elle était devenue collective —, l’organisation du sujet devait se modifier. Si à ce moment aucun développement approprié n’était devenu possible, il est vraisemblable que l’état social eût promptement disparu et que l’homme fût retourné aux conditions dans lesquelles les mécanismes primitivement acquis par lui lui permettaient exclusivement de vivre. Mais un tel développement n’était possible qu’à la condition d’être éclairé par une conscience : il fallait donc, ou qu’une conscience de l’adaptation en commun prît naissance, ou que l’évolution commencée fût enrayée. C’est à ce besoin qu’a répondu la religion. Le sens de la culture, en se constituant au moment voulu, a permis à la culture elle-même de ne pas être un produit mort-né. En se représentant les conditions de la vie sociale, et en se donnant ces conditions, conçues sous forme idéale, comme objets d’adoration, l’homme s’est rendu la vie sociale possible. Par le mythe il s’est permis à lui-même de comprendre ce qu’il y avait de bon et d’utile en lui et hors de lui, ce qu’il fallait combattre, ce qu’il fallait favoriser, comment on pouvait harmoniser la pratique. Par le culte il s’est encouragé à l’action bonne, il en a fait un absolu, il a conçu le bien comme sa loi. Comprendre