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La conscience nous a donc paru être la condition même du progrès. Mais ce qui est vrai pour les organismes individuels ne peut pas ne pas l’être pour les collections d’organismes, et l’on ne peut supposer que la conscience obéisse tantôt à certaines lois, tantôt à d’autres. Par suite, dans la vie de la race comme dans celle de l’individu, la conscience doit être un élément directeur, un adjuvant de l’adaptation progressive.

À ce compte, la religion correspondrait, dans l’histoire de l’humanité, à ce qui constitue chez les personnes l’autonomie du progrès, la promotion de l’être par lui-même. De même que nous devenons partiellement maîtres de notre destinée morale par la notion même que nous acquérons de ses facteurs, et que notre organisation mentale est soumise à notre direction par cela seul qu’elle se reflète en nous, l’humanité pourrait, par la religion, entrer en possession de ses propres ressources, assurer à ses démarches un sens précis et une allure soutenue. Privé de la conscience religieuse, l’homme primitif n’eût été qu’un automate social. Or si l’automatisme est l’état le plus parfait à la fin de l’évolution, et si ses effets l’emportent alors de beaucoup sur ceux de l’activité consciente, il n’en est nullement de même au début, et l’absence de toute lumière interne ne produit dans ce cas que des tâtonnements multipliés et une perte considérable de force. L’adaptation, qui commence et qui finit dans l’obscurité de l’inconscient, a besoin, dans ses processus intermédiaires, d’être éclairée par quelque foyer.

On peut donc légitimement douter que la civilisation eût jamais pu atteindre le degré de développement où elle est arrivée aujourd’hui chez quelques peuples, si l’état présent n’avait pas été préparé par l’existence antérieure d’un foyer religieux. Quoiqu’il soit souvent difficile d’apercevoir un lien direct entre les croyances du passé et les manifestations du présent, il est permis néanmoins de croire que les premières ont conditionné les secondes, en favorisant l’établissement de tel équilibre de tendances, de telle harmonie des activités, sans lesquels les effets subséquents n’auraient pu se produire. Qu’on songe à l’incroyable complexité d’associations de toutes sortes, au nombre illimité d’adaptations partielles, qui se trouvent impliquées dans l’organisation sociale de l’homme moderne : est-il vraisemblable qu’une pareille organisation se soit formée sans l’intervention d’une conscience pratique directement appliquée à l’activité, sans l’existence d’un centre coordonnateur où les processus encore incohérents pussent entrer en communication et se mettre dans les relations voulues ? Or ce centre coordonnateur n’a pu être autre que la religion elle-même telle que nous l’avons définie. L’intelligence