Page:Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome XXI, 1886.djvu/482

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
478
revue philosophique

V

Nous pouvons à présent nous faire une idée suffisamment claire et complète de la genèse des religions, et substituer aux schémas des autres systèmes un schéma moins artificiel et moins incohérent. Nous distinguerons, avec les théories précédentes, trois phases dans l’évolution religieuse, mais en leur prêtant un autre sens. — Il y a d’abord une première phase dans laquelle l’homme agit purement et simplement comme être social. La civilisation, comme fait biologique, est nécessairement, dans notre conception, antérieure à la religion, comme toute chose est antérieure à son idée. Dans cette période préreligieuse, l’adaptation est inconsciente et instinctive ; l’homme ignore sa propre activité et les lois de son exercice. Étant admis qu’un premier équilibre social s’est produit dans ces circonstances, l’homme, par réflexion sur cet équilibre, arrive à y distinguer certains éléments particulièrement importants, et à les reconnaître comme conditions nécessaires de sa vie. Ces conditions, il les extériorise, puis il en fait des personnalités idéales capables d’être pensées à part et figurées sous des traits arrêtés, en un mot, il les objective et les symbolise. Telle est l’œuvre de la seconde phase, qui n’est possible que par la première, et qui repose nécessairement sur des données pratiques et inconscientes, antérieures à toute représentation intellectuelle. En d’autres termes, à la base de tout mythe il y a nécessairement un acte humain, — acte qui peut être général ou particulier, qui est ordinairement général — ; l’homme ne peut croire avant d’avoir agi, et ce à quoi il croit, c’est sa propre activité. Arrive enfin la troisième phase ; l’élément pratique, objectivé et symbolisé par le mythe, devient l’objet d’un culte, dans lequel il est imité, anticipé, invoqué.

Ainsi, 1o un acte social, de nature quelconque ; 2o un symbole qui le transforme en mythe ; 3o un culte qui s’adresse directement au symbole, indirectement à l’acte, dont il exprime et sanctifie la nature : tels sont les divers processus de l’évolution religieuse dans la théorie proposée. Cette théorie, on le voit, confine la religion dans le sujet et la préserve de toute transcendance, tandis que les deux autres la font sortir de la sphère des phénomènes, et la font consister dans l’affirmation, non d’un fait mental, mais d’une réalité extrinsèque à l’homme : les conditions de l’immanence et du phénoménisme ne sont donc satisfaites que dans la première. De plus, notre