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LESBAZEILLES. — bases psychologiques de la religion

psychologique répond-elle ? Elle marque évidemment le moment où l’homme, déjà convaincu de la nécessité de l’action et prêt à l’entre-prendre, aperçoit autour de lui des obstacles de toutes sortes. Il veut agir, et se sent entravé. Alors, par un mouvement spontané, il s’adresse à cette nature qui l’arrête et lui demande à haute voix de ne pas s’opposer à ses desseins. Il réclame sa collaboration comme une dette qu’elle a envers lui ; il lui impose comme fin son propre développement. Il n’y a dans la prière ni vaine superstition ni humiliation inspirée par la peur : il n’y a que l’expression d’un vœu et l’énoncé d’un droit. L’homme se sent le maître de sa propre destinée et il répugne à penser qu’il puisse y avoir autour de lui une puissance hostile et définitivement prohibitrice : voilà pourquoi il fait part de ses souhaits au monde, et lui demande de cesser ses résistances partielles et temporaires. Rien de plus superficiel et de plus mesquin que le fameux adage Primus in orbe deos fecit timor. Ce n’est nullement parce qu’il tremble devant les choses que l’homme les invoque, c’est parce qu’il désire leur concours et les souhaite amies de lui-même. C’est le besoin de sentir autour de lui une collaboration active et bienveillante, le besoin de croire à la possibilité de son progrès et à l’harmonie de l’univers avec lui-même, qui pousse l’homme à prier, c’est-à-dire à désirer et à vouloir tout haut. Donc, même dans ce qu’il y a de plus objectif et de plus représentatif dans le culte, nous retrouvons l’élément subjectif et pratique commun à toutes les parties de la religion ; partout c’est le sujet qui est le point de départ et le but de toutes les démarches.

Ainsi, imiter son action civilisatrice, se donner le spectacle de ses conditions d’existence et s’inciter à les réaliser, appeler en même temps le concours de la nature et solliciter sa bienveillance : voilà quel est essentiellement le but du culte. Ce n’est point une prosternation devant une idole, un hommage passif rendu à un objet, c’est l’attitude d’un être actif et progressif qui s’encourage lui-même à l’action, et demande aux choses de ne pas le troubler dans l’accomplissement de sa tâche. Le rite, peut-on dire, est l’homme social provoquant et esquissant l’action qu’il se représente comme bonne, donnant en droit la réalité à ce dont il conçoit la nécessité. C’est lui-même qu’il invoque, c’est son progrès qu’il adore, c’est-à-dire qu’il proclame comme saint et qu’il présume comme actuel. Au vrai, rien de transcendant dans le culte : tout y est immanent, puisque tout vient de l’homme et se rapporte à l’homme. La prière elle-même, nous venons de le dire, a l’homme pour terme ultime, et la nature n’y est invoquée que comme instrument des fins humaines. Bref, le culte est la culture elle-même, sanctifiée et invoquée.