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et sans l’effectuer par avance ; la conscience collective ne peut imaginer sa loi sans l’actualiser. Autrement dit, l’homme, comme partie d’un tout, tend forcément à réaliser les conditions d’existence de ce tout aussitôt qu’il se les représente ; la tendance à persévérer dans l’être le régit aussi bien comme cellule sociale que comme individualité distincte, et il ne peut pas plus apercevoir l’adaptation spécifique sans s’y porter, qu’il ne peut le faire par la sienne propre.

Quand cette impulsion intérieure se manifeste par des effets externes et se convertit en pratiques appropriées, le culte prend naissance. Ce n’est point ici le lieu d’examiner comment une telle conversion s’opère dans le détail, et comment, aux éléments primitifs du rite — qui sont, encore une fois, des signes par lesquels la tendance à une action déterminée se traduit objectivement — il s’en ajoute d’autres qui l’enrichissent et le poétisent. Mais nous croyons qu’il ne serait pas malaisé de vérifier notre hypothèse dans un grand nombre de cas, et de faire voir dans les rites religieux la reproduction d’un fait ou d’un usage ethnique. On a essayé dernièrement de trouver dans le mythe du feu l’origine de tous les dogmes, et de réduire au culte qui en dérive les symboles et les pratiques du christianisme lui-même. Quoi qu’il faille penser de cette tentative, un peu hardie peut-être, toujours est-il qu’on a pleinement réussi à démontrer le caractère imitatif et pratique des cérémonies religieuses et qu’on a parfaitement su les ramener à des répétitions ou à des présomptions d’actes réels. La manière dont nos ancêtres adoraient Agni n’était autre chose qu’une reproduction de ce qu’ils faisaient pour allumer le feu. Ils se donnaient à eux-mêmes le spectacle de cet acte civilisateur et se félicitaient de son invention, en répétant symboliquement ses principales scènes. C’était comme un encouragement à l’acte et une consécration qui lui était publiquement donnée. Nous trouvons donc manifestement dans le culte du feu la démonstration de ce fait, que toute pratique religieuse a originellement pour objet de conférer une sanction collective et de prêter un caractère sacré à une action utile au progrès. Est déclaré divin et adorable tout ce qui concourt à la civilisation ; est proclamée chose méritoire tout ce qui favorise la vie en commun. Bref, c’est aux conditions de son développement que l’homme rend toujours hommage ; c’est d’elles qu’il fait des objets de foi et d’adoration.

Parmi les éléments dont tout culte se compose, il en est un qui n’est peut-être point d’origine absolument primitive, mais qui joue pourtant un rôle trop important pour que nous n’en disions pas quelques mots : nous voulons parler de la prière. Quelle peut être, à notre point de vue, la signification de la prière, et à quelle phase