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LESBAZEILLES. — bases psychologiques de la religion

le progrès s’exerce, que c’est de son progrès qu’il s’agit. Donc, dès l’instant où il se représente les circonstances de l’action, il s’affirme lui-même comme agissant dans ces circonstances ; il situe son propre être dans la sphère pratique qu’il aperçoit mentalement, et ne sépare pas la réalisation du bien de la vision de ses antécédents. On pourrait rappeler ici la formule idéaliste : esse est percipi. Pour une condition de l’existence sociale, être représentée, c’est tendre à être ; l’élément cultural qui sert de contenu à la conscience engage en même temps la conduite.

Ainsi, dès que l’image mythique est entrée dans le moi et s’y est dessinée en traits précis, par une diffusion inévitable et une assimilation nécessaire, elle s’insinue jusqu’au profond de l’être et s’incorpore à ses parties pratiques. De simple idée qu’elle était elle devient élément déterminant de la volonté. Dès lors ce qui est actuellement représenté se trouve virtuellement accompli ; en même temps que l’adaptation est figurée au moi, il y a comme une adaptation insensible qui commence à s’effectuer. Dans cette phase de la psychologie sociale, si difficile à définir parce qu’elle est éminemment concrète, tandis que l’imagination offre l’action au moi, le désir appelle cette action, l’émotion la fait germer, la décision l’affirme, la confiance la prédit. Ainsi l’homme anticipe sa propre activité ; il empiète sur son développement futur, et lui prête une existence idéale aussitôt même qu’il en prend conscience. Or cette exécution virtuelle, cette affirmation secrète que la chose est faite alors qu’elle n’est que pensée, cette présomption de la volonté : c’est le culte lui-même à l’état natif. Que la scène intérieure s’extériorise, qu’au lieu de se passer tout entière en tacites invocations et en anticipations invisibles, elle se traduise par des signes apparents, et qu’au lieu d’être abandonnée aux caprices de la mimique individuelle, elle adopte une expression commune : nous aurons le rite sous les yeux. Le rite est donc l’extériorisation des processus subjectifs, d’ordre émotionnel et volitionnel, qui accompagnent l’image mythique dans la conscience collective ; c’est, en quelque sorte, la décharge, opérée conformément à un mode déterminé, de la tension nerveuse et musculaire qui s’est accumulée dans le sujet social : c’est la traduction objective de l’état d’éréthisme où le met l’idée de sa propre vie.

En résumé, ce qui fait sortir le mythe du culte, c’est la nécessité par laquelle l’espèce anticipe son propre développement et statue son existence future, aussitôt qu’elle a pris de ce développement et des conditions de cette existence une idée précise et intense. La conscience individuelle ne peut penser à son bien propre sans le vouloir