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DELBŒUF. — la mémoire chez les hypnotisés

neaux. Vous vous mettrez dans un traîneau, et je vous pousserai. Tel est le rêve que vous allez faire. »

Endormie, je lui présente la boite, et d’elle-même elle rêve tout ce qui vient d’être dit. Elle étend le linge. « Y en a-t-il du linge dans cette cuvette ! » Puis elle se met à glisser ; voit des dames en traîneau ; je lui en offre un et l’assieds sur un tabouret. Elle le met en mouvement ; je la renverse, et la réveille au moment où elle est par terre.

Tout son rêve lui revient. Chose assez particulière, elle ne se rappelle que d’une manière vague que je le lui avais annoncé à l’avance.

VII

Il me reste à exécuter une dernière série d’expériences sur la mémoire, de nature à résoudre un problème psychologique intéressant. Le premier jour que j’allai visiter la Salpêtrière, M. Charcot présenta à la petite société qu’il avait convoquée, une jeune fille qui prenait des poses plastiques admirables. On lui fermait les poings, sa physionomie exprimait la colère, ses sourcils se fronçaient, ses yeux flamboyaient, regardant fixement dans le vide. Réciproquement si, au moyen de courants électriques, on lui faisait froncer les sourcils, ses poings se fermaient, elle se dressait de sa chaise avec un air de menace et à mesure qu’on renforçait les secousses, l’attitude devenait de plus en plus agressive. Je dois même avouer qu’à un moment elle me fit peur. On lui donna, par des procédés analogues, l’expression de la tristesse, de la joie, de l’amour, etc.

M. Taine, qui était présent, émit cette réflexion qu’il serait important de savoir ce qui se passait dans cette âme dont l’enveloppe était si expressive. J’offris de me soumettre à l’action des courants électriques pour juger si j’éprouverais l’un ou l’autre des sentiments qu’on ferait apparaître sur ma figure. On agréa ma proposition ; mais, quelle que fût la force des courants, mon âme n’éprouva rien, ni colère, ni joie, ni tristesse. Tout ce que je pus deviner, c’est quelle expression on imprimait à mes traits. M. Féré fit judicieusement observer que cette expérience ne pouvait rien donner, par cette raison même que j’étais avant tout préoccupé de deviner ce qui se passerait en moi, et que, par conséquent, le sentiment prédominant devait être certainement la réflexion et l’attente. Les phénomènes de mémoire ravivée vont nous permettre de résoudre en partie cette question éminemment intéressante et grosse de conséquences. Les