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PAULHAN. — le langage intérieur

chez d’autres personnes dont il cite le témoignage, les images motrices forment une grande partie de la parole intérieure. Chez moi, elles se produisent assez fréquemment et principalement quand j’attire toute mon attention sur la façon dont je parle intérieurement. Mais quoique je distingue aisément, à présent, dans ma parole intérieure l’élément moteur de l’élément auditif, je n’ai jamais pu isoler cet élément moteur de l’élément auditif, comme j’isole l’élément auditif de l’élément moteur, et me le représenter à part. M. Stricker donne aussi de très bons arguments pour la présence d’un élément moteur dans la parole intérieure lorsqu’il indique ou rappelle ces faits qu’une pensée continue peut fatiguer les muscles de l’articulation et que l’audition d’un chant trop fort ou trop haut peut faire éprouver au larynx une sensation pénible. Signalons encore ces observations importantes : « Je puis me représenter des mélodies soit en les chantant tout bas, soit en les sifflant, par conséquent au moyen de sentiments aux lèvres, au lieu de sentiments au larynx. Mais si je me représente ensuite une mélodie que j’ai jouée sur le violon, il se rattache bien à l’idée que j’en ai le souvenir du mouvement des doigts, mais ce ne sont que des représentations accessoires. Je ne puis me représenter la mélodie seulement par le secours d’impulsions nerveuses dirigées vers les doigts, il me faut recourir à celles des lèvres et du larynx. » J’ajouterai ici une observation personnelle qui s’accorde bien avec celles de M. Stricker, quoiqu’elle en diffère suffisamment, et qui me paraît propre à montrer aussi l’importance de l’élément moteur. J’essaye de me représenter l’aboiement d’un chien ou le chant d’un oiseau. Je remarque que je puis me représenter l’un ou l’autre par des images auditives reproduisant plus ou moins fidèlement ou plus ou moins incomplètement un aboiement ou un chant que j’ai pu entendre. Mais en même temps, je me sens une forte tendance à me représenter l’aboiement ou le chant par des sons empruntés à la voix humaine, et à imiter en moi-même l’aboiement du chien ou le chant de l’oiseau autant que mes moyens me le permettent. Cette dernière représentation est à la fois auditive et motrice. J’ai une tendance à imiter réellement les sons, et je sens l’ébauche des mouvements en même temps que je me représente faiblement les sons que cette tentative me ferait produire. Cette observation me parait montrer assez bien l’importance de l’image auditive, et en même temps le rôle assez considérable joué par les images de mouvement qui contribuent à la déformation dans la représentation de la sensation primitive. Cette déformation est aussi due en partie d’ailleurs aux habitudes de l’imagination auditive.