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ment elle propose de tuer l’ablette pour Madame, « parce que Madame aime beaucoup le poisson ». Au moment où elle fait le geste de rejeter le poisson à l’eau, je la réveille. Elle se rappelle son rêve jusqu’au canard exclusivement.

Cette expérience est propre à montrer plusieurs choses : d’abord la suggestion des rêves hypnotiques par des récits écoutés à l’état de veille, et, partant, le mode de production du rêve physiologique ; ensuite le rappel d’un rêve avec des lacunes possibles chez l’hypnotisé comme chez l’individu normal ; enfin la sincérité absolue du sujet. Je referai cette expérience.

2oOrdres à exécuter au réveil ; je prévois que J… ne se les rappellera pas.

Elle doit déplacer des boîtes, enlever de force à sa sœur son tablier, en faire un rouleau et le fourrer dans le dos de ma femme.

Réveillée (par parenthèse, je persiste à penser qu’elle ne l’est pas), elle accomplit ces ordres de tout point ; sa sœur se sauve, elle la poursuit, elle revient s’endormir dans son fauteuil. Je la réveille une seconde fois. Elle n’a gardé aucun souvenir de ce qu’elle a fait. Elle est scandalisée à l’idée qu’elle a été fourrer de force le tablier de sa sœur dans le dos de la dame de la maison.

3o — J… a mal aux dents ; la souffrance devient très grande, elle crie dès que je touche sa joue. Je lui arrache la dent, elle jette un cri ; elle est soulagée. Mais voilà qu’elle a mal du côté droit ; même jeu. Je la réveille ayant la pince dans la bouche. Elle se rappelle la dernière scène, mais non la première.

N. B. — Je suis néanmoins persuadé que l’éducation pourrait étendre le rappel même à la première dent. Je vais donner la preuve de cette puissance de l’éducation.

4o — Moi : « C’est bien dommage que nous n’ayons pas de chat. — Oh ! quel beau chat ! (Réponse curieuse ; elle n’a sans doute pas entendu la négation.) — Non, nous n’avons pas de chat, et nous avons tant de souris ! — Oui, beaucoup de souris. — Voyez ! elles grimpent sur vous ! » J… est dans une agitation indicible, serre ses jupes autour de ses jambes, cueille des souris sur ses cuisses, sa poitrine, dans son dos, et les jette avec répugnance loin d’elle. — Moi : Écrasons-les ! J….. se lève et piétine les souris. Je la réveille pendant son action. « Qu’est-ce que je faisais ? dit-elle. — Dites-le-moi, je n’en sais rien. — Je donnais des coups de pied. — À quoi ? — Je ne me rappelle pas. »

Ici le seul lien d’attache était l’agitation corporelle ; il n’y avait pas de lien visuel. Je m’étais dit à l’avance qu’elle pourrait ne pas se sou-