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DELBŒUF. — la mémoire chez les hypnotisés

sais rien. — Rappelez-vous ? — Je ne puis. — N’est-ce pas de l’eau de Cologne ? — Je ne me rappelle pas. »

On voit qu’il y a une lacune et que la lacune existe dans le rêve. Ainsi, dans la mémoire normale, nous constatons souvent des brèches : on se rappelle une histoire par fragments, la suite des événements offre des vides ou des obscurités. Essayons de combler la lacune, de renouer le fil cassé du rêve. Comme ce rêve est lui-même rattaché à la réalité par l’épisode final du mouchoir, je dois parvenir, grâce à lui, à raccrocher toute la suite. C’est ce qui eut lieu.

Je rendors J… « Qu’est-ce que nous venons de faire ? — Nous avons été en promenade, nous avons vu de belles maisons, etc. » Elle me répète tout son rêve. Au moment où elle me dit : « Vous avez mis les fleurs dans votre mouchoir pour le parfumer », je la réveille, et alors son souvenir est intact ; elle retrouve d’elle-même toute la fiction. Cette expérience légitime l’espoir d’élever un sujet qui puisse se rappeler la plupart de ses rêves hypnotiques.

25 février, Trois expériences. — Les deux premières ont le même objet que les deux dernières expériences du 22 février faites avec A et B.

N. B. — J’en ai annoncé à l’avance les résultats à l’insu du sujet ; et les prévisions se sont vérifiées.

1re Expérience : J… doit mendier ; elle a faim, ses parents sont réduits à la misère, les temps sont durs et l’ouvrage manque. Je procède comme toujours par interrogation. « Vous éprouvez souvent des refus ? — Hélas ! oui ! — Avez-vous quelques bonnes maisons ? — Deux principalement : une où habite un grand monsieur à barbe blanche (ce doit être moi-même) ; une autre où demeure une jeune dame toujours malade (ce doit être ma femme). — Vous voilà arrivée devant la maison du monsieur à barbe blanche ; sonnez et demandez. » Elle se lève ; notons qu’elle a les yeux fermés, se dirige vers une porte d’appartement, fait le geste de sonner et attend. Je me présente : « Que voulez-vous, la fille ? — J’ai si faim, et mes parents sont dans la misère, faites-moi la charité, s’il vous plaît. — Tenez, voilà mon porte-monnaie (je le lui donne). — Est-ce pour moi tout, monsieur ?. — Oui, pauvre enfant. — Mille fois merci, monsieur. » Elle fait deux pas pour s’éloigner. Je la réveille. Elle tient le porte-monnaie en main et ne peut s’expliquer sa présence. Elle voudrait cependant bien savoir comment il est venu en sa possession, car « elle aime mieux les rêves dont elle se souvient que ceux dont elle ne se souvient pas » ; ceux-ci l’inquiètent et la plongent dans la défiance et la perplexité.

2e Expérience, exécutée aussi les yeux fermés.