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Je ne crus mieux faire que de répéter d’abord l’expérience qui m’avait si bien réussi à la Salpêtrière, en présence de MM. Féré et Masius avec la W… Avant l’entrée de A et de B, j’avais d’ailleurs tout disposé pour qu’elle pût s’exécuter. Une aiguière avec de l’eau et un bassin étaient sur le lavabo.

Je commençai avec B. Il se prêta à être endormi par moi, mais je ne réussis pas encore. J’eus recours à M. Ch…, qui le mit ensuite en rapport avec moi. Il se laisse caresser la figure, et cela semble lui faire plaisir. Je lui pose la question que je pose à mes sujets : Êtes-vous endormi ? D’ordinaire, mes sujets répondent par un oui bien articulé. B trouve la question absurde et répond non d’un ton ferme et avec une certaine nuance de mécontentement, comme s’il n’admettait pas qu’on se moque de lui.

Je crois encore ici devoir reproduire fidèlement le dialogue, parce qu’il montre qu’un sujet hypnotisé peut raisonner raisonnablement, et parce qu’on verra dans la suite l’utilité que j’ai peut-être retirée de cette éducation préliminaire du petit garçon.

« Mon petit ami, vous dormez certainement ? — Mais non ! — Mais oui ! Voyons ! Qu’avez-vous vu tantôt ? — J’ai vu un chardonneret. — Et qu’est-il arrivé à ce chardonneret ? — Il est devenu un jeune corbeau, puis une cane, puis un brochet, puis une ablette. — Eh bien, avez-vous déjà vu des chardonnerets devenir corbeaux, puis canards, etc. ? — Non. — Vous voyez bien que c’est un rêve, ce n’est que dans les rêves que pareilles choses arrivent. » B se met à rire, et trouve qu’en effet il doit rêver. Moi : « Faites bien attention ! Je vais vous donner un rêve dont vous vous souviendrez à votre réveil, et que vous pourrez raconter à vos amis. »

B n’avait pas, comme la W…, un fichu auquel on pouvait mettre le feu. Je dus lui faire au préalable tirer son mouchoir de poche. « Vous êtes joliment enrhumé ! Mouchez-vous !… Inutile de remettre votre mouchoir en poche, vous allez encore en avoir besoin. »

B garde son mouchoir sur ses genoux. « Fumez-vous quelque-fois ? — Rarement. — Vous n’aimez pas à fumer ? — Peu. — C’est très bien ! mais une fois n’est pas coutume. J’ai en poche d’excellents cigares ; je vous en offre un, et nous allons fumer de compagnie. »

B mâchonne son cigare imaginaire avec une satisfaction visible. Je fais semblant de lui donner du feu. « Ça n’est pas du feu », fait-il ; et il va prendre une boîte d’allumettes sur la cheminée, en enflamme une effectivement, l’approche de sa bouche, puis me la passe. Nous fumons à côté l’un de l’autre.

« N’est-ce pas, les bons cigares ? (signe d’assentiment) — Comme ils brûlent bien ! (même jeu). — Voyez quelle cendre au bout de mon