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DELBŒUF. — la mémoire chez les hypnotisés

Je prends B, et je lui offre de lui faire avoir un rêve semblable. M. Ch… est encore obligé de l’hypnotiser. L’attitude de B est la même que celle de A. La figure est plus intelligente, mais la voix aussi mal articulée. Pas de sensibilité à l’aimant. Mis en rapport avec lui, je le caresse dans la figure : il n’aime pas cela, « il est trop grand ; c’est aux petits enfants que l’on fait de semblables caresses ». Ici, je m’attache à lui faire avoir les mêmes hallucinations qu’à A ; mais, chose remarquable, c’est de lui-même qu’il compose le rêve, et il le compose identiquement comme A ; il fait les mêmes gestes et émet les mêmes réflexions.

Je fais mine d’appeler un oiseau, il tend le doigt. « Qu’avez-vous sur le doigt ? — Un chardonneret. — Donnez-lui à manger. » Il prend un grain de chènevis sur la table, mais (ceci est en plus) il reçoit un coup de bec qui le met sur ses gardes. Je fais s’envoler l’oiseau. B se précipite vers les rideaux tout à fait comme A ; les gestes sont copiés. L’oiseau rappelé revient se percher sur son doigt. « Eh bien ! que voyez-vous ? — Ah ! il devient gros comme un jeune corbeau » (le mot jeune est ajouté). Il le secoue, et le voilà à terre. — « Et puis ? — Il va à l’eau ; c’est une cane, je ne vois plus ses pattes. — Et puis ? — C’est un brochet ! — Prenez-le ! — Non ! — Je vais le prendre. » Même jeu que plus haut. Il s’approche. « C’est une ablette ! » Il la prend, la rejette à l’eau.

« Et que voyez-vous autour du bassin ? — Un beau gazon avec de belles marguerites et des fleurs jaunes. — Donnez-m’en un bouquet ! » B craint l’eau. Il se cramponne à la table, à M. Ch…, à moi, pour cueillir les fleurs. Le bouquet composé, il me le donne. « Que dois-je en faire ? — Mettez-le à votre boutonnière. — Il est bien gros ! » Embarras de B. Je tire mon mouchoir. « Mettez-le dans votre mouchoir, il le parfumera ; il sent le réséda. » Il flaire le bouquet avec plusieurs fortes aspirations ; il flaire ensuite le mouchoir.

Je lui fais répéter son rêve, qu’il résume parfaitement. Je le réveille ; il court près de son compagnon. Profond étonnement de part et d’autre : ils ont eu le même rêve et ne s’en souviennent pas ! Leur physionomie est empreinte d’un air de stupéfaction tellement vrai, qu’on ne peut douter un instant de leur sincérité absolue.

Ainsi B a reproduit, presque spontanément, dans son rêve, tout ce qu’il a vu faire à son ami A. Cette expérience qui, je crois, est faite pour la première fois, est curieuse et intéressante. Elle montre à l’évidence la continuité entre l’état de veille et l’état d’hypnotisme.

Pourquoi l’inverse n’aurait-il pas lieu ? Pourquoi l’éveillé ne se souviendrait-il pas de ce qu’a fait l’hypnotisé ? Les expériences suivantes vont répondre à la question.