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remarque une fois pour toutes. C’est sans doute qu’il n’a pas été assoupli à ce genre d’exercice. À mon instigation, il prend sur la table un grain de chènevis (imaginaire) qu’il donne à l’oiseau. Je fais signe que l’oiseau s’envole du côté de la fenêtre ; il le suit un instant des yeux, puis se lève brusquement, court à la fenêtre, le poursuit dans les rideaux en faisant des bonds énormes. Je rappelle l’oiseau, pst ! pst ! A revient, et je le lui remets sur le doigt. « Ne remarquez-vous pas que votre oiseau grossit ? — Non. — Si ; voyez ! — Oui. — Le voilà comme une poule. — Non. — Non pas comme une poule, mais comme un corbeau. — Oui. — Prenez garde : il est méchant, il donne des coups de bec. »

Avec un geste d’effroi, A le secoue, et envoie le corbeau par terre. « Voyez donc ! Il entre à l’eau, c’est un canard ! — Oui, vraiment, c’est un canard, je ne vois plus ses pattes. — Non seulement les pattes, mais le corps entier a disparu ; c’est un brochet. — Non ! — Si fait ! je vais l’attraper avec du pain. »

Je fais semblant de m’approcher du bassin avec du pain, et saisis le poisson en m’écriant : « Je le tiens ! » Il vient voir. Moi : « C’est une ablette ! — Vraiment ! c’est une ablette. — Prenez-la ! » Il la prend, et me demande s’il faut la tuer. « Non ! rejetez-la à l’eau. » C’est ce qu’il fait.

Moi : « Quel beau gazon autour de l’eau ! — Oh ! — Voyez-vous des fleurs ? — Oui. — Quelles fleurs ? — Des marguerites. — Et quelles autres encore ? — Des fleurs jaunes. — Cueillez-m’en un bouquet. »

Il les cueille, les arrange, puis me les donne. Moi : « Quelle bonne odeur ! — Non ! — Sentez donc ! ça sent le réséda ! — Ah ! oui. » Il respire fortement et avec volupté. Je mets les fleurs dans mon mouchoir « pour le parfumer ». Je lui fais sentir mon mouchoir. Même jeu de sa part. La scène est finie.

Je l’interroge ensuite sur ce qu’il a vu. Il répète point par point tout ce rêve en rappelant les moindres circonstances. Je le réveille. Il n’en a gardé nul souvenir. Chez ce sujet et son compagnon, le réveil n’est pas instantané. Au moment où on leur souffle dans la figure, ils sont prêts à tomber en arrière, se frottent les yeux pendant quelques instants, et mettent encore un temps appréciable à reprendre leurs esprits. Il me semble qu’il s’écoule bien trente à quarante secondes entre le commencement et l’achèvement du réveil. J’ai craint d’abord que cette particularité ne contrariât les expériences de souvenir ; mais il n’en a rien été.

Pendant que je commente avec M. Ch… cette expérience, A est allé conférer avec B et sans doute lui demander ce qu’il a bien pu faire.