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et l’attitude qu’il a prise n’est explicable, pour lui comme pour les assistants, que par la suggestion sous l’empire de laquelle il agit. Dans l’expérience du bonnet, au contraire, quand on réveille le sujet, le rêve est achevé. On a, si je puis ainsi dire, fermé la porte sur le rêve, au moment d’entrer dans la réalité. Alors le sujet ne peut renouer le fil interrompu, ou du moins il n’est pas sollicité à le faire, comme quand il se surprend lui-même dans une attitude étrange. Sans doute la W… a le bonnet de M. Féré dans sa poche ; elle pourrait, à la rigueur, grâce à cet indice, reconstruire la scène qui s’est passée ; et, pour ma part, je ne doute même pas que, dressée convenablement, elle ne pût y parvenir pour ce cas et d’autres semblables. Mais elle trouve tout aussi commode et même plus simple de supposer qu’on lui a mis cet objet dans sa poche pendant son sommeil.

C’est ainsi que la jeune fille à qui, sous mes yeux et ceux de M. Taine, M. Charcot a fait au bras une brûlure par suggestion, a pensé à son réveil qu’elle avait dû se brûler au foyer à gaz qui était allumé. Et au fond, cette interprétation fausse n’est-elle pas plus plausible que la véritable ?

Les expériences qui vont suivre ont pour principal objet de faire le jour sur le problème ici posé. J’exprime à l’avance la conviction que tout lecteur qui les lira avec attention le tiendra pour résolu.

III

Mon but me faisait une nécessité d’avoir un sujet neuf, qui m’appartînt tout entier. Je songeai d’abord à une jeune fille qui était venue à l’hôpital pour se faire soigner d’une aphonie hystérique. Je la fis tomber en somnambulisme dès la seconde séance ; mais mille entraves de toute nature s’opposèrent à des expériences suivies et je me rebutai. On m’offrit alors une autre hystérique (sujette à des crises). Mais la mobilité de son esprit était telle que je ne réussis pas à l’endormir, et, d’un autre côté, elle était assez vite sous la menace d’une crise. Je me tournai alors vers deux jeunes filles qui ont bien voulu se mettre absolument à ma disposition. Je parlerai de la première à une autre occasion. Aujourd’hui je présente la seconde.

J… est une jeune campagnarde de vingt-trois ans, grande, forte, saine, travailleuse, et foncièrement honnête sous tous les rapports.