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DELBŒUF. — la mémoire chez les hypnotisés

bien ! Parfaitement. — Regarde cette cendre brûlante au bout. — Je la vois. — Oh ! elle vient de tomber sur ton fichu qui prend feu ! Trempe-le vite dans l’eau ; un bassin est sur la table ! » En moins de temps qu’il ne le faut pour le dire, la W… est debout, détache son fichu, et le plonge dans la cuvette. Elle excite M. Féré à éteindre la flamme avec elle. « Pressez, pressez-le donc entre vos mains, et tapez dessus ! » s’écrie-t-elle en faisant le geste. En ce moment, on a réveille.

Elle sent ses mains mouillées, les regarde et nous regarde avec stupeur. Tout d’un coup elle s’aperçoit qu’elle n’a plus son fichu ; elle voit que M. Féré le tient en main. « Ah ! quel trou ! s’écrie-t-elle ; c’est la cendre de votre cigare qui en est cause. » · Ça y est, me dit M. Féré en me regardant. « Je vais le raccommoder », continue-t-il, et il le déploie devant la flamme du foyer. « Laissez, dit la W…, je le raccommoderai moi-même. — Inutile, voyez ! »

En apercevant son fichu intact, elle revêt la physionomie d’une personne qui sort d’un songe lointain, et s’écrie (le moment était solennel pour moi, et ses paroles se sont gravées d’une manière indélébile dans ma mémoire) : « Dieu ! c’est un rêve que j’ai fait ! C’est étrange. Voilà la première fois que je me souviens de ce que j’ai fait étant somnambule. C’est étrange. Je me rappelle absolument tout. Vous étiez à côté de moi ; vous fumiez ; la cendre de votre cigare est tombée sur mon fichu qui a pris feu. J’ai couru le tremper dans l’eau. Vous m’avez aidée ; et je vous ai même dit : Tapez, tapez fort (elle refait son geste) pour étouffer la flamme ! » La démonstration était éclatante.

Le lendemain, j’eus l’occasion de jouer une scène analogue avec une autre pensionnaire de la Salpêtrière, à qui, quelques jours auparavant, l’on avait fait aux bras des brûlures par suggestion. Je l’hynoptisai moi-même. Je lui fis croire que la cendre brûlante tombait sur son poing. « Ah ! bien ! fait-elle, je joue de malheur ; voilà trois fois que je me brûle. — Ce ne sera rien, lui dis-je. Frottez de l’encre sur votre brûlure, vous ne sentirez plus rien. » Ainsi dit, ainsi fait. Je la réveille incontinent. En voyant ses mains tachées d’encre : « Je sais, dit-elle, je me suis brûlée avec la cendre de votre cigare. — Enlevez cela ! — Non pas, je vous prie, l’encre préserve d’avoir mal. — Ne craignez rien ; laissez-moi effacer. Voyez, vous n’êtes pas brûlée. — Tiens ! c’est donc un rêve ! »

Maintenant, quelle différence y a-t-il entre l’expérience du bonnet et celle du cigare ? Une seule, mais elle est capitale. Dans l’expérience du cigare, le dernier acte du rêve est le premier du réveil ; en d’autres termes, le sujet est réveillé au milieu d’une action,