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DELBŒUF. — la mémoire chez les hypnotisés

clamer la possibilité générale de raviver le souvenir des rêves hypnotiques. De retour à Liège, j’entrepris de poursuivre systématiquement l’examen du problème. Telle est l’origine des pages qui vont suivre.

II

L’état de la mémoire dans le somnambulisme provoqué présente, dit M. Beaunis[1], un intérêt spécial ; c’est lui qui domine toute la scène.

« Le fait caractéristique, et qui a été constaté par presque tous ceux qui se sont occupés de cette question, c’est que la personne hypnotisée, une fois réveillée, ne se rappelle rien de ce qui s’est passé pendant le sommeil hypnotique ; tandis qu’une fois endormie de nouveau, elle se souvient parfaitement de tous les faits et gestes de ses sommeils antérieurs. Tous les sujets que j’ai observés se trouvaient dans ces conditions[2]

« Il semble donc qu’il y ait une sorte de dédoublement de la mémoire et de la conscience ; il y aurait, d’une part, la vie ordinaire, normale, avec ses veilles et ses sommeils naturels, et d’autre part, la vie somnambulique composée uniquement de la série des sommeils hypnotiques provoqués. Il faut remarquer cependant qu’il n’y a pas séparation absolue entre ces deux vies, car le sujet hypnotisé se rappelle non seulement ce qui s’est passé pendant l’état de veille et pendant le sommeil naturel, ses rêves, par exemple. On verra même que le souvenir des faits qui se sont produits à l’état de veille pendant l’existence ordinaire est plus exact et plus précis pendant le sommeil provoqué. »

De ces deux assertions, les faits que j’ai à faire connaître détruisent l’une et corroborent l’autre d’une manière décisive. Ils rétablissent dans son intégrité l’unité de la conscience des hypnotisés, que l’on était en voie de regarder comme brisée.

Pour m’administrer la preuve que les hypnotisés ne gardaient au réveil aucun souvenir de leurs rêves, M. Féré institua l’expérience suivante, mais autre que celle que je lui avais indiquée.

La W… est mise en état de somnambulisme, puis invitée à se

  1. Recherches expérimentales sur les conditions de l’activité cérébrale et sur la physiologie des nerfs ; études physiologiques et psychologiques sur le somnambulisme provoque, par H. Beaunis, professeur à la faculté de médecine de Nancy. Paris, 1866, p. 49.
  2. On signale cependant des exceptions. Voir M. Ch. Richet, citant M. Heidenhain, Revue philos., oct. 1880, p. 365.