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voqué par une certaine excitation de l’organe, laquelle avait à son tour ravivé le souvenir d’un événement réel où j’avais joué un rôle. Je n’en avais au réveil qu’une connaissance confuse ; mais, du moment que l’irritation qui lui avait donné naissance se fut renouvelée, j’eus un point d’attache qui me permit de le reconstruire en entier.

Voici un rêve analogue. C’est un de mes collègues qui l’a fait tout récemment. Comme c’est souvent le cas, le tissu de ce rêve renferme des éléments objectifs. Mon ami est en voiture avec sa femme et ses enfants. La voiture est tout d’un coup, près d’un pont à côté de sa demeure, prise entre deux tramways à vapeur qui vont en sens contraire[1]. Il ordonne au cocher de s’arrêter pour lui permettre de sauter par-dessus les wagons et de rentrer chez lui. Il sort, accomplit son étrange saut, et il se réveille avec une sensation de membres brisés. Il était vers six heures du matin. Impossible à lui de se rappeler son rêve. Quelque temps après, il entend la trompe du tramway, et à l’instant tout le souvenir lui en revient.

Quelque opinion que l’on professe sur la nature du somnambulisme provoqué, on ne peut ne pas voir qu’il a pour effet d’interrompre momentanément certains rapports du sujet avec le monde extérieur. L’oubli au réveil chez les hypnotisés n’a donc rien d’étonnant. Mais puisque le magnétiseur invente les rêves qu’il inspire à ses sujets, je pensais qu’il devait lui être facile de créer le lien capable de rattacher la vie anormale à la vie normale, et qu’ainsi l’hypnotisme offrirait un moyen d’éprouver la théorie que je viens d’exposer.

C’est dans le but, entre autres, de vérifier cette conjecture qu’à la Noël dernière, je me suis rendu à Paris et que j’ai sollicité et obtenu de M. Charcot l’autorisation de visiter la Salpêtrière. Je n’ai pas eu besoin de beaucoup d’expériences. La première a réussi de tout point[2]. Étaient seuls présents M. Féré et M. Masius, professeur de clinique à l’université de Liège. La somnambule choisie était cette W… si universellement connue depuis les célèbres travaux de MM. Charcot, Féré et Binet. Cette expérience répétée avec quelque variante le jour même et le lendemain sur un autre sujet, également une grande hystérique, donna un résultat tout aussi concluant. Je la relaterai plus bas en détail.

On ne pouvait évidemment se contenter de trois faits pour pro-

  1. Quelques jours auparavant une charrette attelée d’un cheval a, au même endroit, été prise en écharpe et brisée ; le cheval a été tué.
  2. Elle a été l’objet, quelques jours plus tard, d’une communication à la Société de psychologie physiologique.