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DELBŒUF. — la mémoire chez les hypnotisés

Le sentiment général du public éclairé était la défiance. Ayant eu l’occasion d’observer et de constater par moi-même des phénomènes étranges présentés par une jeune fille atteinte d’hystérie, mes collègues mêmes de la Faculté de médecine me regardaient volontiers comme un mystique, pour employer un terme qui ne rend pas tout à fait leur pensée. Enfin je n’étais pas sans quelque appréhension à l’égard de l’innocuité des pratiques des magnétiseurs. Les sujets qui avaient été soumis à M. Hansen et d’autres se plaignaient, disait-on, de maux de tête, de fatigue, et d’accidents nerveux.

Nonobstant une préparation aussi insuffisante, je commençai et poussai même assez loin la rédaction d’une théorie du somnambulisme naturel et artificiel, se rattachant étroitement à une théorie de la mémoire. J’abandonnai mon travail, ayant bientôt reconnu que l’expérience personnelle était indispensable.

Cette théorie de la mémoire, je l’ai depuis exposée dans mon ouvrage sur Le sommeil et les rêves[1]. Je la résume en peu de mots.

L’activité que nous déployons dans l’état de veille a pour résultat d’épuiser la matière sensible dont est chargée la périphérie de notre individu. J’entends par périphérie l’ensemble des éléments tant extérieurs qu’intérieurs, c’est-à-dire tant des organes des sens proprement dits que des organes centraux qui leur correspondent, par lesquels nous sommes en rapport avec ce qui nous entoure.

Cette matière sensible détruite, le sommeil s’empare de nous, et il a pour but et pour effet de la reconstituer. Les rêves proviennent des éléments restés actifs, lesquels constituent principalement le siège des instincts et des habitudes.

De ces rêves, ceux-là seuls ont chance d’être rappelés au réveil qui ont un point d’attache dans la couche qui sera sensible à ce moment. Grâce à ce point d’attache, on pourra reconstituer les rêves en repassant par les associations, souvent si bizarres, qui les ont provoqués. Un simple récit suffit pour rendre claire cette explication. Une nuit, je fis un rêve qui ne m’avait laissé au réveil qu’une sensation désagréable. En quoi avait-il consisté, je ne parvenais pas à me le rappeler. En faisant ma toilette, je sentis un léger chatouillement dans une oreille, et, à l’instant, il me souvint[2] d’avoir rêvé la nuit même que j’y éprouvais une démangeaison assez forte, et que, m’étant mis à la nettoyer, j’en avais retiré des quantités invraisemblables de matières sébacées. Ce rêve avait évidemment été pro-

  1. Paris, Félix Alcan, 1885.
  2. Voir, dans l’ouvrage précité, p. 242 et suiv., le dernier chapitre qui traite du rêve comme objet du souvenir et des conditions requises pour qu’on se souvienne de ses rêves.