Page:Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome XXI, 1886.djvu/437

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
433
société de psychologie physiologique

la pénurie d’idées suggérées, brille plutôt par la forme que par le fond. Le principal argument consistant dans l’absence de tout témoin, un des assistants se lève et dit : « Moi, j’ai tout vu ». L’autre, loin de se déconcerter, réplique aussi vite par cette échappatoire : « Comment, voici un soi-disant témoin qui n’a pas été cité à l’audience ! nous ne pouvons l’entendre aujourd’hui. Je renonce à continuer dans de pareilles conditions. Je demande et insiste pour que l’affaire soit remise à une date ultérieure. » Sur ce, il se rassied en maugréant.

Autre objectivation. « Vous êtes, lui dis-je, un petit gamin de trois ans. » Éveillé, il examine avec curiosité les tableaux appendus au mur, puis, apercevant sur une table un échiquier, il le saisit, s’étend nonchalamment sur le parquet, et se met à jouer avec les différentes pièces. Je l’interroge sans transition sur sa profession de boucher, et lui demande le nombre de bêtes tuées chez lui la semaine précédente. « Je n’ai pas tué, moi ; je n’ai pas tué. — Que fait-on chez vous ? — Je ne sais pas, moi. » Il continue à jouer et il m’est impossible d’en savoir davantage.

« À votre réveil, lui dis-je plus tard, vous vous trouverez seul dans cette chambre, avec ce monsieur que voilà, lequel est endormi. Il est porteur de nombreuses valeurs placées dans la poche intérieure de sa redingote. Pendant les deux minutes que vous resterez seuls, vous le dévaliserez, mais assez adroitement pour ne pas le réveiller ». Je souffle ; P… croit se trouver seul, les assistants étant invisibles pour lui. Il regarde attentivement sous les meubles, puis, s’approchant par deux et trois reprises et avec des précautions infinies, de la personne prétendument endormie, il finit par lui déboutonner son habit, plonge sa main à l’endroit indiqué, et en retire en les froissant des papiers qu’il enfonce dans sa poche. L’acte accompli, le sujet semble ignorer ce qu’il vient de faire ; mais, interrogé dans un sommeil ultérieur, il avoue son vol, tremble, et me supplie instamment de reprendre les valeurs.

Dans la dernière séance, je lui dis : « Demain, à midi moins un quart, vous quitterez tout pour vous rendre directement chez M. X… (une personne très en vue de la localité). M. X… étant lié avec M. Beernaert, chef du cabinet, vous lui demanderez son appui pour vous faire octroyer la décoration de chevalier de l’ordre de Léopold. » Le lendemain, à l’heure en question, P… se trouvait au café, en train de jouer une partie de cartes en compagnie de quelques amis. Tout à coup il se lève brusquement, et, sans dire un mot, sort et se dirige à grands pas vers la demeure de M. X… Il expose sa demande dans les termes voulus, mais se refuse à dévoiler les motifs d’une telle prétention. Cette démarche ponctuellement accomplie, il revient en toute hâte au café pour y achever sa partie. Mais ses compagnons, peu satisfaits d’une telle manière d’agir, avaient jugé bon de vider les lieux en lui laissant les consommations à payer.

Quelques jours après, il me conta qu’il se souvenait de la visite faite à M. X…, mais nullement de l’objet de celle-ci. Il ne s’en était pas