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Le phénomène de l’écholalie n’existe pas chez lui. Mes questions sont chaque fois suivies de réponses exactes. Je produis à souhait des illusions et des hallucinations hypnotiques qui sont acceptées presque toutes sans résistance ; mais, quand je veux en venir à l’image hallucinatoire du portrait projeté sur une carte de visite, le sujet se refuse à accepter une telle suggestion, et il répond avec ténacité qu’il ne voit qu’une carte blanche. Cette expérience, je l’ai répétée trois fois sans plus de succès.

C’est dans l’objectivation des types (telle que l’a décrite M. Ch. Richet), qu’il réussit à merveille. P… est un jeune homme intelligent, mais qui n’a reçu qu’une bonne éducation d’école primaire supérieure. Il possède une belle voix et fait partie d’une société dramatique de la localité.

Je l’endors et le transforme en acteur. Le sujet de la déclamation est laissé à son choix ; un nombreux public est censé l’écouter. Nous assistons alors à une scène que ne rendrait pas mieux un artiste consommé. Pendant plus de dix minutes, le pseudo-acteur nous tient sous le charme de sa manière de dire et de faire. Si, pendant ses allées et venues, je touche du doigt, même très légèrement, le crâne à droite, le sujet est immobilisé dans l’attitude où je l’ai surpris, et la parole est coupée même au milieu d’un mot ; ce phénomène, qu’on peut faire durer à plaisir, ne cesse qu’avec le retrait du doigt.

L’attouchement du crâne à gauche n’offre rien de semblable. Au réveil, P… ne se souvenant pas, on doit lui expliquer le rôle qu’il vient de jouer. Grand est son étonnement quand on le met sur la voie du morceau déclamé ; cette scène, nous raconte-t-il, est extraite d’un drame intitulé « le Col de la Mouzaïa », drame dont il a été un des acteurs il y a plus de douze ans. Depuis lors, il ne s’en était plus occupé. Son étonnement procède de ce que, réveillé, il lui est impossible de débiter une phrase complète. C’est là un cas remarquable de ce que vous appelez l’exaltation de la mémoire passive.

Transformé en général, en face d’ennemis envahisseurs, il réalise son type avec une ardeur martiale à nulle autre pareille. À ce moment, je lui dis avec ironie : « Mais, général, vous qui faites si bien le brave, vous n’êtes, après tout, qu’un lâche. » À ces mots, au lieu de chercher à fuir, il se sent blessé dans son honneur ; se retournant vers moi avec un regard sanglant et faisant le simulacre de tirer son épée, il me crie : « Dégaînez, dégaînez, vous dis-je ! » et comme je continue à le narguer, il me presse de plus en plus à telle enseigne que je n’ai que le secours de lui planter un doigt entre les deux yeux, ce qui l’arrête et le fascine instantanément.

En avocat de cour d’assises. — Il s’agit de défendre un individu accusé d’un assassinat perpétré sans témoin. La suggestion aussitôt acceptée, P… se tord la moustache en se rengorgeant, promène ses regards sur l’assemblée en homme qui se sent maître de son auditoire, et commence en ces termes : « Messieurs de la cour, messieurs du jury ». Suit alors, pendant dix minutes, un plaidoyer, lequel, à cause de