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comme il avait vu faire par Aran ; naturellement il réussit et put facilement alimenter sa malade.

C’est en se demandant comment se produisait ce sommeil qu’il fut amené à observer les phénomènes suivants, sans contredit extrêmement curieux. Je cite textuellement : « J’avais observé que, quand, en faisant des passes, je me laissais distraire par la conversation des parents, je ne parvenais jamais à produire un sommeil suffisant, même après un long espace de temps. Il fallait donc faire une large part à l’intervention de ma volonté. Mais celle-ci suffirait-elle sans le secours d’aucune manifestation extérieure ? Voilà ce que je voulus savoir.

« À cet effet j’arrive un jour avant l’heure fixée la veille pour le réveil, et, sans regarder la malade, sans faire un geste, je lui donne mentalement l’ordre de s’éveiller : je suis aussitôt obéi. À ma volonté, le délire et les cris commencent. Je m’assieds alors devant le feu, le dos au lit de la malade, laquelle avait la face tournée vers la porte de la chambre, je cause avec les personnes présentes, sans paraître m’occuper des cris de Mlle J…, puis, à un moment donné, sans que personne se fût aperçu de ce qui se passait en moi, je donne l’ordre mental du sommeil, et celui-ci se produit. Plus de cent fois l’expérience fut faite et variée de diverses façons : l’ordre mental était donné sur un signe que me faisait le Dr X…, et toujours l’effet se produisait. Un jour, j’arrive lorsque la malade était éveillée et en plein délire ; elle continue, malgré ma présence, à crier et s’agiter, je m’assieds et j’attends que le Dr X… me donne le signal. Aussitôt celui-ci donné et l’ordre mental formulé, la malade se tait et s’endort. — « Vous saviez que j’étais là depuis quelque temps ? — Non, monsieur ; je ne me suis aperçue de votre présence qu’en sentant le sommeil me gagner ; j’ai eu alors conscience que vous étiez assis devant le feu. »

Le hasard conduisit alors M. Dusart à instituer quelques expériences encore plus curieuses : « Je donnais chaque jour, avant de partir, l’ordre de dormir jusqu’au lendemain à une heure déterminée. Un jour, je pars, oubliant cette précaution, j’étais à 700 mètres quand je m’en aperçus. Ne pouvant retourner sur mes pas, je me dis que peut-être mon ordre serait entendu, malgré la distance, puisque à 1 ou à 2 mètres un ordre mental était exécuté. En conséquence, je formule l’ordre de dormir jusqu’au lendemain 8 heures, et je poursuis mon chemin. Le lendemain, j’arrive à 7 heures et demie ; la malade dormait. « Comment se fait-il que vous dormiez encore ? — Mais, monsieur, je vous obéis. — Vous vous trompez ; je suis parti sans vous donner aucun ordre. — C’est vrai ; mais cinq minutes après, je vous ai parfaitement entendu me dire de dormir jusqu’à 8 heures. Or il n’est pas encore 8 heures. » Cette dernière heure étant celle que j’indiquais ordinairement, il était possible que l’habitude fût la cause d’une illusion et qu’il n’y eût ici qu’une simple coïncidence. Pour en avoir le cœur net et ne laisser prise à aucun doute, je commandai à la malade de dormir jusqu’à ce qu’elle reçût l’ordre de s’éveiller.