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ou musicaux qui se suivent se troubleraient-ils, puisqu’ils n’ont rien de commun ? Mais quand un rythme nous a préparés à un semblable, l’attente satisfaite ou trompée sera une cause de plaisir ou de déplaisir. La considération du rythme des sons répond à des difficultés où s’achoppe celle des battements ; elle ne lui laisse qu’un rôle secondaire.

Enfin certaines particularités importantes de la mélodie restent aussi inexpliquées dans la théorie de Helmholtz : par exemple, la qualité opposée du groupe de quinte et du groupe de quarte, et le caractère différent des modes majeur et mineur. Dans la gamme majeure, la quarte ne peut ouvrir la mélodie, à l’instar de la tonique, de la tierce et de la quinte, et l’on ne saurait passer non plus de la quarte à la tonique pour finir la mélodie. C’est là un fait avec lequel la théorie de Helmholtz est en contradiction, nous montre M. Lipps, et il reconnaît, lui, dans les rapports des vibrations du groupe de quinte l’allure binaire (2 ou multiple de 2), où l’échange de rythme est plus facile que dans l’allure ternaire (3 ou multiple de 3) à laquelle se ramènent les rapports des vibrations du groupe de quarte. Si la quarte, toutefois, est placée à propos avant le groupe de quinte ou en son milieu, elle exige mieux la résolution sur la tonique ; elle introduit dans la mélodie un élément de culte, et le plaisir est plus vif après le combat. Cette vue toute nouvelle du « contraste actif » donne à M. Lipps le secret de la qualité résolutive de l’accord de septième dominante, en opposition avec l’accord parfait, et la même opposition, relative cette fois, de la tierce majeure et de la quinte devient le caractère par où l’accord de tierce et le mode majeur se distinguent de l’accord et du mode mineurs.

À la vérité, en disant le mineur « douteux et voilé », Helmholtz lui a reconnu un caractère propre, qui le distingue des dissonances, non seulement en quantité, mais en qualité. Il faut dire plus, et le mineur implique une désunion (Entzweiung). Dans l’accord mineur, en effet, le mi bémol peut sembler étranger, eu égard à l’ut, ou l’ut, eu égard au mi bémol, et il s’ensuit une incertitude, qui est telle en notre seule conscience. L’intervalle de tierce mineure se retrouve bien dans le majeur entre la tierce et la quinte (mi-sol), mais le système en est fondé ici plus solidement sur la tonique. En somme, chaque moins de soutien signifie un plus de contraste actif ; or, l’intervalle de tierce mineure semble être le moment où ces deux faits de soutien et de contraste deviennent sensibles, et le caractère du majeur provient de la lutte à peu près à forces égales qui s’y livre entre la tierce et la quinte pour laisser ensuite la victoire au ton fondamental. Ainsi, dans les limites étroites de l’accord majeur se reproduit ce qui a lieu dans la résolution par le contraste de quarte et de quinte et, sous différentes formes, partout dans la mélodie.

Je laisse au lecteur le soin de chercher dans l’ouvrage de M. Lipps nombre de faits qu’il me faut omettre et je résume rapidement ses deux thèses principales.