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ANALYSES.th. lipps. Psychologische Studien.

peu décidée, en comparaison des sons musicaux. Du moins ces faits ne sont pas contraires à la théorie de M. Lipps. Il y suffit, dans le premier cas, que des rythmes très voisins s’enchaînent facilement (l’expérience seule décide quel écart est supportable). Pour le second cas, il est vrai que la puissance des battements augmentera dans les sons musicaux en raison des harmoniques qui s’y superposent, et les battements contribuent sans doute à la désharmonie ; mais ils ne la constituent pas plus qu’une ligne « babochée » en un ornement linéaire ne fait le défaut de cet ornement. M. Lipps, considérant ici la mutation dans l’âme, le fait esthétique, semble encourir le reproche d’introduire deux facteurs d’explication. Helmholtz n’a-t-il pas aussi son facteur esthétique, sa Klangverwandschaft ? Seulement il ne lui sert que pour expliquer les « suites », tandis que son contradicteur reconnaît déjà l’action du rythme psychique dans la simple superposition des sons musicaux.

Les faits opposés à la théorie de Helmholtz sont plus nombreux.

Cette théorie suppose la conscience immédiate des battements, partout où il y a désharmonie. La supposition n’est pas fondée. Nous ne remarquons pas la dureté de certaines consonances, qu’on peut rendre sensible en renforçant tels harmoniques communs. C’est que les excitations discontinues signifient un trouble pour nos nerfs, pas davantage ; seul le trouble qu’elle sent compte pour l’âme, et ce trouble lui vient des changements d’état qui la fatiguent. Une flamme qui scintille rapidement ne fatiguera point nos yeux, si elle paraît tranquille. Il est possible de produire, soit avec des diapasons, soit sur l’orgue et sur d’autres instruments, des accords désharmoniques, où l’oreille ne sentira ni dureté (Rauhigkeit) ni intermittence. Un son musical isolé peut paraître désharmonique, sans intermittence remarquable : ainsi les hauts sons de la trompette (où sonnent fortement les harmoniques supérieurs, dont les rapports compliqués en portent la faute). En revanche, les sons profonds de la voix humaine, pour être sentis intermittents, ne sont pourtant pas désagréables. Donc la dureté et la désharmonie ne sont pas même chose. Des sons peuvent contredire le rythme du temps, comme contredisent le rythme de l’espace des lignes droites courant en toutes directions, sans toutefois se couper.

Helmholtz explique la désharmonie, il n’explique pas l’harmonie. La Klangverwandschaft, acceptée aussi par Wundt, y est impuissante. Lorsque deux sons ont un harmonique commun, c’est comme si l’un avait cet harmonique renforcé, et d’ailleurs la parenté établie par un son partiel commun est un événement psychologique. Elle est un rapport pour le sentiment, non pour la raison ; il suffit aussi d’une parenté entre ceux de leurs harmoniques qu’on n’a pas considérés pour lier deux sons musicaux esthétiquement, et la Klangverwandschaft se résout, en définitive, en Tonverwandschaft.

Expliquât-elle l’harmonie avec la désharmonie des sons musicaux simultanés, la théorie de Helmholtz n’expliquerait pourtant pas, et elle le devrait, les rapports des sons successifs. Comment des sons simples