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dimension ; donc, la surface que nous voyons n’est ni plane ni courbe.

La notion de profondeur, en définitive, ne serait ni inhérente à la vision, ni ajoutée ; elle naîtrait de la connaissance que nous avons de grandeurs d’espace objectives en dehors de la surface, pour les avoir vues en d’autres positions. Elle serait une croyance, non une représentation. Nous ordonnons les objets dans l’espace à trois dimensions, à mesure que nous avons plus de raisons d’expérience de le faire : l’illusion du stéréoscope n’est-elle pas une preuve frappante de la contrainte où nous sommes de le faire ?

II. La nature de l’harmonie et de la désharmonie musicales.

Nos lecteurs connaissent la théorie fondée par Helmholtz sur ses beaux travaux d’acoustique. Helmholtz ramène le fait de l’harmonie et de la désharmonie à la considération des battements (Schwebungen) et de la parenté des sons musicaux (Klangverwandschaft.) Il suffit d’un harmonique (Teilton) commun à deux sons pour établir leur parenté, et, comme les harmoniques résonnent d’ordinaire d’autant plus faiblement qu’ils sont plus élevés, cette parenté comporte des degrés, et l’harmonie ou la désharmonie serait en conséquence une question de plus et de moins. M. Lipps, revenant à la théorie des anciens, considère, non pas le son musical tout formé (Klang), mais les vibrations (Schwingungen) et les rapports de vibration des sons simples (einfacher Ton), et il introduit une nouveauté dans la théorie ancienne : il tient compte de l’activité même de l’organe qui perçoit, de l’état psychique, en un mot, trop négligé, selon lui, des purs physiciens.

Il nous faut admettre, pour suivre M. Lipps, que c’est le ton qui frappe notre oreille, et que la perception du ton est déjà du domaine psychique, même quand elle demeure inconsciente. En effet, on distingue avec un peu d’attention un ou plusieurs des harmoniques d’un klang (la fourchette d’argent dont je me sers à table me fait entendre un son fondamental très voisin du la, et sa contre-octave), et il est vrai que les vibrations des sons simples se fusionnent dans leur chemin vers la conscience, où elles donnent la note musicale. Ainsi nous tenons pour continues des sensations qui sont discontinues. Cela posé, il est loisible de partir de la discontinuité et des états rythmiques élémentaires. Au rythme des sons répondra le rythme de la sensation, et nous savons d’ailleurs que la succession des états rythmiques sera agréable ou désagréable selon que « l’aller psychique » en sera favorisé ou contrarié. Les mouvements s’enchaînent, nous l’avons tous éprouvé, avec une facilité très différente ; si nous sommes à compter les douze coups d’une pendule, la sonnerie plus précipitée d’une pendule voisine trouble le rythme commencé, et il est pénible de suivre une mélodie qui chantait dans notre tête, quand un orgue de Barbarie joue sous nos fenêtres un autre air qui ne bat pas la même mesure.

Deux faits paraissent d’abord favorables à la théorie de Helmholtz : la consonance de deux sons peu désaccordés reste agréable ; deux sons simples consonants donnent une harmonie ou une désharmonie