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les points du champ sont vus à peu près également grands, la position pour l’œil étant la même, sur quelle partie de la rétine que se place leur image. M. Lipps en appelle, pour expliquer ces deux circonstances, à la qualité des excitations objectives elles-mêmes : ces excitations, suivant qu’elles sont semblables ou dissemblables, sont reçues plus souvent sur des parties de la rétine ou voisines ou distantes, de manière, en supposant de plus que des points rétiniens également distants reçoivent souvent la même excitation, à produire au cours du temps l’arrangement des impressions des points rétiniens voisins et la distinction des points distants.

Cette explication se fonde sur l’hypothèse des signes locaux. Mais M. Lipps interprète les signes autrement que ne l’ont fait les empiriques et les nativistes, et il oppose aux empiriques en particulier une suite d’objections dont je risque, en les résumant, d’affaiblir beaucoup la valeur.

La théorie empirique, ou génétique, suppose un commencement accidentel à la différenciation des points de la rétine ; il faudrait admettre, en ce cas, une différence d’excitabilité pour les diverses parties de la rétine et de la tache jaune même, ce qui n’est pas vrai, et, cette différence admise, on ne voit pas comment les excitations faibles pourraient jamais se faire jour. Du reste, nos sentiments musculaires, chargés par la théorie de créer le signe local, sont aussi empêchés de faire pour la vue la différenciation demandée, qu’ils le sont d’empêcher pour l’ouïe la fusion des sons simples sans laquelle il n’y aurait pas de sons musicaux. Puis encore nul mouvement de l’œil n’est capable de porter sur la tache jaune les impressions des parties extrêmes de la rétine, et nous savons pourtant quel mouvement il faudrait faire pour cela ; les états intensifs dont on parle ne sont pas gradués de façon à nous donner l’ordre des impressions dans l’espace (l’effort augmente trop notablement aux bords de la rétine) ; il n’est pas vrai que le même mouvement amène toujours au milieu de l’œil l’impression de telle partie définie de la rétine, car la position actuelle de l’œil peut exiger d’autres mouvements que la première fois, et l’on ne voit pas alors quel mouvement sera reproduit à l’occasion ; si enfin nous joignons deux points par une droite, la distance entre ces points apparaîtra plus grande que la distance égale d’un de ces points à un troisième, parce que, dit Wundt, l’œil mesure celle-ci avec le mouvement qui lui est le plus facile, soit selon lui avec une courbe, et si pourtant l’on trace la courbe, elle apparaît maintenant plus longue que la droite.

Une objection tout à fait décisive se peut tirer de certaines illusions optiques. La lune semble venir au-devant du nuage qui passe derrière ; deux carrés noirs sur blanc, un peu distants, semblent participer au mouvement que nous exécutons pour les regarder alternativement. L’insuffisance du mouvement de l’œil à nous fournir une appréciation juste, en ces deux cas, nous oblige à imaginer un mouvement qui n’existe point et qui compense notre fausse estimation. De ces deux