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ANALYSES.sabatier. Essais d’un naturaliste transformiste.

dans la valeur probante de l’analogie monte ou baisse suivant les besoins de sa cause.

Dans son cinquième essai, M. Sabatier poursuit la recherche de la contingence ou de l’indéterminisme dans le domaine des sciences physiques. « N’y aurait-il pas, dans les faits physiques, dit-il, quelque chose dont nous avons le droit de soupçonner l’existence, que nous pouvons même saisir particulièrement dans quelques cas, et qui est propre à nous suggérer l’idée d’un indéterminisme relatif ? »

S’appuyant sur un passage du physicien Helmholtz, M. Sabatier observe d’abord que la succession causale des phénomènes, c’est-à-dire cette loi en vertu de laquelle les phénomènes de l’ordre physique s’engendrent nécessairement les uns les autres, n’est à la rigueur qu’une conception de notre intelligence, un produit de notre pensée, et non une représentation expérimentalement établie de la réalité.

Abordant ensuite le côté objectif de la question, il se demande si la liberté humaine, suivie jusque dans les faits physiques, n’aboutirait pas à un degré d’indéterminisme dont les oscillations sont si limitées que leurs mouvements vibratoires se perdent dans les mouvements déterminés d’une amplitude plus grande, les seuls qui soient perceptibles par nos moyens d’observation. Les mouvements moléculaires ne seraient-ils pas relativement indéterminés dans leur direction, leur vitesse, leur amplitude, etc. ? Le mouvement brownien, par exemple, les trépidations des libelles, petites bulles de gaz incluses dans les roches cristallisées, paraissent indéterminés et capricieux dans leur direction. Or il serait possible que l’indéterminisme des mouvements moléculaires provoquât un certain degré d’indéterminisme dans les mouvements des masses. « Ainsi, la substance générale qui constitue le fonds de la création semble se présenter à nous comme susceptible de plusieurs degrés d’indéterminisme. L’indéterminisme dans la matière minérale serait réduit à des rudiments si infimes qu’il ne s’y trouverait pour ainsi dire qu’en puissance et qu’il ne pourrait être entrevu que dans les phénomènes moléculaires, réduit à des déviations infiniment petites. L’indéterminisme deviendrait plus évident, quoique encore d’une manière assez restreinte, dans la matière physiologique qui est pour ainsi dire le second état de la substance ; enfin, dans cet état supérieur de la substance que nous désignons sous le nom d’esprit (sans savoir ce qu’il est au fond), l’indéterminisme devenu libre arbitre se montre d’une manière bien plus remarquable encore… »

Il s’y montre si peu que M. Sabatier n’a pu nous l’y faire voir qu’à la lumière trompeuse du sens intime. Voilà un singulier libre arbitre, qui n’apparaît pas mieux à son summum de développement que dans le mouvement brownien, c’est-à-dire qui n’est jamais perceptible autrement que pour les yeux de la foi. Nous sommes bien avancés, de posséder une sorte de libre arbitre moléculaire, alors que les plus importantes de nos actions nous apparaissent nettement comme déterminées,