Page:Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome XXI, 1886.djvu/406

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
402
revue philosophique

avec le déterminisme scientifique ? Comment en comprendre l’origine ? » Nous connaissons la réponse des « créationnistes » : L’homme est libre parce qu’il a été créé tel. Moins facile est la réponse d’un naturaliste transformiste. Voici, en résumé, celle du professeur Sabatier :

Qui dit évolution dit développement progressif d’un rudiment originel dont les éléments primitifs se sont plus ou moins modifiés et développés… Si, dans un type quelconque, se rencontre un élément essentiel parvenu à un état de développement tel qu’il frappe l’observation, cet élément ne saurait faire réellement défaut dans les degrés de l’échelle où il n’est pas assez évident pour être aperçu… Or la cellule protiste renferme à l’état de puissance ou de rudiment tout ce que nous trouvons dans l’être le plus supérieur ; donc le libre arbitre existe, avec l’âme, dans la cellule humaine primitive. Il y est « parce qu’il y sera et parce qu’il est impossible de saisir et de préciser un moment pour sa création ». Bien plus, il devait exister dans la première cellule animale.

M. Sabatier n’hésite pas à aller jusque-là, au risque de scandaliser beaucoup de partisans du libre arbitre. Pour justifier sa manière de voir, il suit les traces de la liberté jusque chez les insectes et ne craint pas de s’appuyer sur l’analogie à défaut de preuves directes. Il va même jusqu’au bout de la série animale : « Qui pourra avancer avec certitude, dit-il, que l’infusoire, que l’amibe parcourant dans tous les sens, à la recherche d’une proie, le liquide qui les contient, obéissent exclusivement, et d’une manière aveugle, absolue, à l’impulsion de l’instinct, et qu’il n’y a rien d’indéterminé dans cette course qui semble manquer de règle et de direction, et dont l’imprévu frappe l’observateur. »

M. Sabatier ajoute que l’École médicale de Montpellier n’admet pas le déterminisme des phénomènes vitaux, mais ce qu’elle appelle leur contingence, c’est-à-dire leur indéterminisme. Il fait observer que, dans les sciences physiques elles-mêmes, une trop grande confiance dans l’analogie conduirait à de grosses erreurs : la loi de Mariotte, par exemple, n’est rigoureusement vraie que dans l’intervalle de certaines limites. Il montre l’étendue, la puissance, l’universalité de la variation dans le monde vivant. Pas deux feuilles semblables dans le règne végétal tout entier. Pas deux cellules semblables. Cela tient à la variation dans le milieu, dans les conditions, diront les déterministes résolus. Mais la preuve n’est possible que dans certaines limites observe notre auteur. Au delà de ces limites, les partisans de la contingence sont à leur aise ; ils sont aussi solidement établis que leurs adversaires, et même plus solidement, à cause de l’universalité de la variation.

Ici se termine le IVe essai de M. Sabatier. Il paraît que l’honorable professeur ne croit pas qu’il y ait assez de milliards de combinaisons possibles des causes déterminantes de la forme des feuilles pour produire l’infinie variété de ces organes. Il paraît aussi que sa confiance